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relever le navire, des forces qui eussent suffi, bien dirigées, à l’empêcher d’échouer. »

Dans ces dispositions d’esprit, nous n’eûmes pas de peine à nous entendre. Il pensait en principe, comme Drouyn de Lhuys, comme Moustier, comme Thiers, comme Rouher, comme Daru et nos diplomates, que c’était un intérêt français d’empêcher la violation du traité de Prague par le passage du Mein. Je n’essayai pas d’obtenir l’abandon de, son opinion, mais je lui demandai de renoncer à la manifester d’une manière quelconque, par écrit ou par paroles, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères, et de ne s’écarter d’aucune des trois parties du programme initial du Cabinet : acceptation des événemens de 1866, abstention dans le présent, réserve absolue sur ce qu’il conviendrait de faire dans les éventualités de l’avenir. Il adhéra à ce programme et ne s’en est jamais écarté. C’est avec la résolution loyale de contribuer au maintien de la paix, qu’il entra dans un ministère plus que jamais dévoué à la cause de la paix.


X

Talhouët avait donné sa démission le lendemain du plébiscite (10 mai). Il y avait donc deux ministères à pourvoir : les Travaux publics et l’Instruction publique. Pour les Travaux publics, nous fûmes unanimes à désigner Plichon, appartenant à la portion du Centre gauche qui avait voté oui. Segris désirait passionnément que son ami Laboulaye fût placé à l’Instruction publique, quoique lui aussi n’appartînt pas au Parlement. L’Empereur, beaucoup mieux inspiré, nous proposait Bourbeau, homme de très grande valeur aussi et pour lequel personnellement j’avais beaucoup de sympathie. Mais Segris, je ne sais pourquoi, montrait autant d’antipathie pour Bourbeau que de sympathie pour Laboulaye. Tenant beaucoup à n’être pas désagréable à un collègue pour lequel j’avais estime et affection, je me prêtai à seconder son double sentiment. J’écrivis donc à l’Empereur : « Sire, Chevandier, Segris et d’autres de nos collègues ne croient pas que Bourbeau convienne ; il a le tort à leurs yeux de n’être pas nouveau et d’avoir été compromis dans le Cabinet Forcade. Ils pensent que, pour que nous puissions faire avec succès de la résistance, il est nécessaire que notre couleur libérale ne soit pas douteuse. Laboulaye leur paraît préférable à cause de