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tout instant peut devenir active. Dès lors, la pondération constitutionnelle est assurée ; il n’y a plus d’omnipotence nulle part : celle du chef de l’État est contenue par le Parlement, celle de la Chambre des députés par le Sénat, celle des deux Chambres réunies par la nation. Faites maintenant un dernier pas : trouvez un moyen de contenir la nation elle-même, de l’obliger à ne pas méconnaître, dans ses égaremens de passions passagères, les nécessités fondamentales de toute justice et de toute société, alors vous arriverez à ce que l’on peut établir de moins imparfait dans ce monde.

Ici, la difficulté est presque insoluble, et l’on ne peut la résoudre qu’approximativement. Le Sénat avait, jusqu’en 1870, eu l’attribution d’annuler ce qui avait été dicté contre la loi constitutionnelle et au mépris du droit des citoyens. Depuis qu’il était devenu une portion du pouvoir législatif, il ne pouvait plus remplir cet office que d’une manière indirecte, en votant contre les lois qu’il avait autrefois le pouvoir d’annuler. Il eût été désirable de combler cette lacune, en établissant, à côté de la Haute Cour de justice criminelle, une seconde Cour de justice politique, imitée de la seule partie vraiment belle de la Constitution américaine. Cet office, pour ne pas créer une institution nouvelle, eût été conféré à la Cour de cassation jugeant à huis clos, toutes chambres réunies. Chaque citoyen se croyant lésé dans son droit constitutionnel par une loi votée aurait eu la faculté de se pourvoir devant cette Cour, qui n’aurait pas été autorisée à casser la loi (ce qui serait empiéter sur le pouvoir législatif), mais aurait pu, si elle trouvait la plainte fondée, dispenser par un jugement de son exécution. Tous les citoyens dans le même cas, après un jugement favorable à l’un d’entre eux, auraient pu exercer le même recours, et la loi, sans être cassée, tombait en désuétude. Mais ma proposition eût soulevé un tolle d’étonnement, tant les saines notions de la liberté étaient encore peu répandues. On me reprochait déjà d’avoir trop le goût des innovations téméraires et je n’osai pas.


IX

La question se posa alors de savoir si je ne convertirais pas mon titre intérimaire en un titre définitif et si je ne resterais pas aux Affaires étrangères. L’Empereur persistait dans son