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de foi, sur laquelle on l’a nommé, et le peuple a ainsi indiqué son opinion. — Erreur. Une profession de foi s’engage sur une foule de sujets différens. Quel est celui de ces engagemens qui a valu le vote de l’électeur ? D’ailleurs, n’y aurait-il qu’un seul engagement pris, qui assure que l’élu le tiendra et que le député ne votera pas autrement que le candidat[1] ? Lui imposera-t-on le mandat impératif ? Accordera-t-on à ses électeurs un droit de révocation s’il y manque ? C’est pour le coup que les principes chers aux parlementaires seraient mis en pièces. Il en est deux sans lesquels on ne conçoit pas le système parlementaire : le premier, que le représentant possède un droit propre, intangible, aussi inviolable que celui du juge, à rendre sa sentence ; le second, que l’opinion exprimée dans une profession de foi n’est qu’une opinion provisoire dont il est permis et même obligatoire de se dégager si la discussion en a démontré la fausseté. Sans cela, pourquoi réunir une assemblée, élever une, tribune, pérorer ? Il serait plus simple de réunir quelques greffiers et de les charger d’additionner les opinions contenues dans les mandats impératifs ; la majorité constatée formerait la loi.

L’appel au peuple ou le référendum offre le moyen unique de savoir d’un peuple ce qu’il pense, sur les choses et les institutions, en dehors de toute considération personnelle. Et par cela seul que la question se généralise, elle intéresse un plus grand nombre de personnes, et l’on en voit beaucoup qui, in différens à l’âpreté des luttes personnelles et ne venant jamais voter pour l’élection d’un député, sortent de leur torpeur pour répondre à l’interrogation d’un plébiscite et forment par leur intervention des majorités inattendues.

  1. Gambetta : « Vous vous êtes trouvés subitement, au jour même de l’invasion si nombreux sur les bancs de l’Assemblée, à Bordeaux, que l’espérance, et permettez-moi aussi de le dire, le vertige vous a pris et vous avez pensé que la France s’était donnée à vos opinions, alors qu’elle n’avait choisi que vos personnes. » (31 juillet 1874.)
    Déclarations de M. Thiers : « L’Assemblée maintient de fait la République : quoique, dans sa majorité, elle paraisse avoir reçu des électeurs le mandat monarchique, elle a la sagesse de comprendre que la République aujourd’hui est devenue la meilleure forme de gouvernement. »
    Discours du 8 juin 1871 : « Il y a une portion de cette Assemblée qui a été nommée par des électeurs monarchiques et qui a la foi monarchique ; eh bien ! elle a eu la sagesse, la prudence de ne pas vouloir céder à ses préférences, et elle a permis, elle permet tous les jours que je m’appelle le chef du pouvoir exécutif de la République française. Quel acte de sagesse plus grand attendiez-vous de sa part ? »