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c’est spécialement vrai dans les affaires d’État. De tout temps, la, division des pouvoirs, c’est-à-dire leur limitation réciproque, a été considérée comme la condition essentielle de la liberté. Reconnaître à un parlement la faculté de tout faire est aussi monstrueux qu’attribuer la toute-puissance législative et judiciaire à la volonté absolue d’un monarque. La liberté est compromise dès qu’un pouvoir est omnipotent. Omnipotence pour omnipotence, s’il fallait choisir, celle d’un pouvoir personnel serait préférable parce qu’elle est responsable, tandis que l’autre ne l’est pas. Cette responsabilité, ne fût-elle que morale, est une garantie que n’offre pas une collectivité ; aucun César n’aurait eu l’audace de commettre les atrocités de la Terreur.

La prévoyance politique conseille de protéger la nation aussi bien contre l’omnipotence anonyme que contre l’omnipotence césarienne. Le premier moyen est de diviser le parlement en deux Chambres et de faire de l’une le frein de l’autre, et d’un Sénat le contrepoids d’un Corps législatif. Pour que l’action de cette Chambre haute soit efficace, il faut qu’elle soit établie dans des conditions très fortes d’autorité. L’essentiel n’est pas son mode de nomination. Qu’elle sorte de l’élection sous une forme quelconque ou de la désignation du prince, peu importe, pourvu qu’elle soit inamovible. Machiavel, dans sa république idéale, voulait un Consiglio degli Scelti, c’est le Sénat, composé de deux cents citoyens, e stessino a vita (qui devait être à vie). J’arrive à cet axiome : Nommez le Sénat par le procédé le plus imparfait, il sera bienfaisant si les sénateurs sont inamovibles ; adoptez le système le plus perfectionné d’élection, il sera un rouage superflu, si les sénateurs ne sont nommés que pour un temps. Dès que le mandat des sénateurs est soumis à des renouvellemens périodiques, les Sénats finissent tôt ou tard par n’être qu’un simple reflet du Corps législatif, sa doublure docile.

Il est important aussi que l’autorité d’un Sénat ne soit pas compromise par l’attribution d’une compétence criminelle exceptionnelle et qu’il ne devienne pas une Haute Cour de justice comme la Chambre des pairs de la Restauration et de Louis-Philippe ; alors il ne paraît plus être que l’instrument d’un parti politique et son action, même législative, est infirmée par cette suspicion. Notre Sénat était inamovible ; et par là était assurée son indépendance à la fois contre la place publique et contre le