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Quarante-quatre du Tiers parti et continué avec lui ma revendication constitutionnelle. Le 19 janvier 1867, j’avais cru le but atteint. Mais l’Empereur s’était arrêté et m’avait rejeté dans la mêlée. Le suffrage universel ne s’était pas arrêté de même : averti par les fautes commises, endoctriné par des orateurs puissans, qui, en évitant de l’effaroucher par l’étalage de leurs arrière-pensées, célébraient magnifiquement la liberté, il avait, dans les élections de 1869, exprimé sa ferme volonté d’obtenir l’Empire libéral. Je m’étais mis alors à la tête d’un nouveau groupe, celui des Cent seize ; l’Empereur avait hésité, s’était rendu, m’avait appelé. J’avais formé un ministère parlementaire responsable et, par gradations successives, substitué la Constitution libérale à la Constitution autoritaire. Maintenant, le peuple me disait par ses millions de suffrages que je ne m’étais pas trompé en croyant mon œuvre bonne.

Certes, une partie considérable du succès était due à la fidélité inébranlable de ce peuple de France aux Napoléons. La plupart des épouvantés qui avaient appelé, acclamé le coup d’Etat de 1851, l’avaient maudit depuis ; Jacques Bonhomme lui était resté fidèle. Certes, même s’il fût demeuré autoritaire, l’Empire aurait obtenu la majorité, mais cette majorité diminuée, souhaitée par le Centre gauche et redoutée par l’Empereur, et qui ne lui eût laissé qu’une existence précaire, languissante, à la merci de ses implacables ennemis. C’est à la liberté seule qu’il avait dû sa majorité triomphante et le renouvellement de sa force affaiblie. Supposez que j’aie été emporté alors par une fièvre, comme Cavour, j’eusse été célébré unanimement comme un des rares hommes d’État du XIXe siècle, dont le dessein eût été accompli dans son intégralité, ni plus ni moins, et l’on m’eût aussi donné en preuve de ce que peut une volonté.

Mais un cyclone, qu’il me fut impossible de prévenir et contre lequel on ne me laissa pas le temps de lutter, s’abat sur mon œuvre, la fracasse et me rejette au nombre des vaincus condamnés à l’ostracisme. Eschyle a composé un beau poème tragique : il sort ; un aigle qui passe tenant une tortue dans ses serres, la laisse tomber sur sa tête et le tue. Il n’en a pas moins composé un beau poème. C’est ce que dira l’Histoire de l’Empire libéral quand elle jugera la Constitution qui en fut le couronnement.