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je solliciterais de l’Empereur de vouloir bien me permettre.

Peu d’heures après, je me retrouvai avec Daru, Buffet et Thiers dans une nouvelle réunion du Centre gauche. Daru fut vivement pris à partie d’avoir abandonné le programme de son groupe en consentant à ce que le pouvoir constituant fût transféré au peuple, au lieu d’être réservé aux représentans de la nation. Il n’eut pas de peine à se défendre de ce reproche : le programme du Centre gauche avait spécifié que l’association du Corps législatif au pouvoir constituant signifierait seulement que l’on détacherait du pouvoir constituant déféré au Sénat tout ce qui avait un caractère législatif et cette promesse était amplement réalisée dans le sénatus-consulte. Dans ces explications il se montra emporté, cassant ; Thiers et moi eûmes de la peine à le modérer. Cette discussion de principes épuisée, on me demanda si nous allions faire vraiment le plébiscite ? Je répondis que rien n’était encore arrêté. Au sortir de la réunion, je me rendis chez l’Empereur, afin qu’il m’autorisât à accepter pour le lundi 4 avril l’interpellation de la Gauche. Il consentit. J’en informai aussitôt Thiers, le Centre gauche et la Gauche.


IV

Le 4 avril, au matin, l’Empereur fit au Conseil communication du secret gardé jusque-là entre lui, Daru et moi. Surprise générale. Buffet tourne son regard vers Daru, attendant l’explosion d’un courroux semblable à celui qui couvait en lui. Il le voit satisfait, souriant. Interpellé par cette interrogation muette, Daru explique même tout au long que c’est à lui qu’appartient le conseil du plébiscite ; le seul collègue auquel il en eût parlé (en me désignant) ne l’avait pas soutenu. Buffet grince, s’agite, mais n’ose pas proposer le rejet du plébiscite qui est adopté à l’unanimité. On m’autorise à en instruire la Chambre.

A la sortie du Conseil, Buffet ne se contient plus. Il se répand en plaintes contre Daru : il a manqué aux règles du régime parlementaire ; il n’avait pas le droit de conseiller une résolution aussi grave de sa propre initiative, sans l’assentiment de ses collègues, etc. Mes paroles d’apaisement l’excitent au lieu de le calmer. Il me quitte, court chez Daru qui l’avait fui, et s’explique en termes tels que celui-ci, ordinairement si courtois, le met presque à la porte.