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gouverner seul, et il vaut mieux qu’il ait près de lui un des grands corps de l’Etat. Je le répète, je crois cet article bon. L’opinion publique ne m’en demande pas la suppression. Mais je l’accorde à mon Cabinet qui me le demande, pour lui donner une preuve de mon désir de marcher d’accord avec lui. »

Nous remerciâmes l’Empereur, et je fis lecture de l’exposé des motifs ainsi que du projet de sénatus-consulte. Dans ce projet était formulé le droit parlementaire par l’établissement de la responsabilité ministérielle, et non moins fermement le droit plébiscitaire que se réservait l’Empereur. Le plébiscite y était consacré sous deux formes : l’une facultative, l’autre obligatoire. L’article XIII consacrait le plébiscite facultatif : « L’Empereur est responsable devant le peuple français auquel IL A TOUJOURS LE DROIT DE FAIRE APPEL[1]. » Ce droit d’appel était indéterminé, général, ne dépendant que de la volonté seule de l’Empereur. Il pouvait s’exercer en toutes matières. Le plébiscite obligatoire était établi dans l’article 5 : « La Constitution ne petit être modifiée QUE PAR LE PEUPLE SUR LA PROPOSITION DE L’EMPEREUR. » Aucune restriction n’était apportée à cette initiative de l’Empereur provoquant l’exercice du pouvoir constituant.

On ne pouvait formuler plus nettement le droit plébiscitaire du souverain, et cependant ni Buffet, ni Daru ne firent la moindre objection. Ils acceptèrent sans mot dire cette coexistence du droit parlementaire et du droit plébiscitaire. Buffet ne présenta de critique que sur l’article 19. Il fit remarquer qu’il y avait contradiction à déclarer : (§ 1er) « les ministres dépendent de l’Empereur » et (§ 2), « ils sont responsables, » ce qui équivaut à : ils dépendent de la Chambre. De la sorte, un paragraphe dit oui et l’autre non. A cela l’Empereur répliqua : « La responsabilité

  1. Thiers, qui contestait alors à l’Empereur le moyen légal de pourvoir exceptionnellement à des situations exceptionnelles, ne s’est pas fait faute d’agir exceptionnellement quand il y a eu intérêt :
    « Aux républicains,
    « Si l’exercice de certains droits qui appartiennent aux peuples libres peut inquiéter le pays, sachez y renoncer momentanément, et faites à la sécurité publique un sacrifice qui profitera surtout à la République. » (La Liberté, message du 13 novembre 1872. Thiers.) « Il y a quelques mois, les grèves commençant dans le Nord, et prenant un caractère inquiétant pour le pays et pour la liberté de l’industrie, je les ai réprimées à l’instant avec une force dont les gouvernemens antérieurs n’avaient pas donné l’exemple. (Très bien ! très bien ! C’est vrai, à gauche.) Nous n’avons pas souffert un seul banquet public, bien que, sous d’autres gouvernemens, on en ait souffert. » (Discours du 16 novembre 1872.)