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dans son sénatus-consulte l’article 33, contre lequel l’opinion était butée, et que le Conseil des ministres ne voulait pas accepter. Il me répondit : « Mon cher monsieur É. Ollivier, Je suis bien aise que la lettre que je vous ai écrite ait reçu l’approbation d’un grand nombre de personnes. Je vous prie de bien considérer que je viens de faire encore une grande concession, et qu’il ne faut pas me demander plus que je ne puis tenir. L’article 33 me paraît indispensable comme corollaire d’un appel au peuple, et notez bien que, le Sénat n’ayant plus de pouvoir constituant, l’abus est impossible ; car je ne pourrais pas, le cas échéant, demander au Sénat de revenir sur aucun des articles consacrés ; je ne pourrais que lui faire voter des mesures d’urgence, soit financières, soit d’ordre public, sans aucun inconvénient pour la cause libérale. Je vous prie de bien peser cette question, et de m’éviter des discussions qui me sont toujours très pénibles quand je ne suis pas d’accord avec vous et avec vos collègues. — Croyez à ma sincère et haute estime. » Il revint sur les motifs de sa résistance dans une conversation et les appuya par des argumens auxquels il n’y avait vraiment aucune réponse à opposer : « On prétend que l’article 33 est la pierre d’attente pour un coup d’Etat. C’est exactement le contraire qui est vrai : c’est le préservatif contre un coup d’État. Il est dans la vie des sociétés des situations exceptionnelles, auxquelles les règles ordinaires ne suffisent pas et auxquelles il doit être exceptionnellement pourvu. C’est la ressource que réserve l’article 33. Alors les mesures exceptionnelles, étant autorisées par la loi, n’ont rien de révolutionnaire. Si la loi ne les permet pas et que la force des choses les impose, il s’ensuit un trouble dans la constitution du pays, qui est d’un fâcheux effet et d’un mauvais exemple. »

Malheureusement, quand il ne s’agit pas des intérêts essentiels sur lesquels, dans aucun cas, il n’est permis de transiger, il est des circonstances où on est bien obligé de concédera l’erreur publique quelque chose qu’il eût mieux valu lui refuser. Quoique convaincu que l’Empereur n’avait pas tort, je persistai à ne pas comprendre l’article 33 dans le projet que je portai aux Tuileries le 26 mars. Le lundi 28, l’Empereur vint au Conseil le tenant dans sa main. Il nous dit, le visage tout épanoui : « J’ai beaucoup réfléchi à l’article 33. Je le crois bon : en cas de dissolution de la Chambre, il ne faut pas que l’Empereur soit exposé à