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mystérieusement annoncée de l’Empire d’Allemagne. Le tour était joué. En attendant de savoir si le prince Fritz serait plus accommodant que son frère Léopold, on pria Salazar de quitter Berlin et de rentrer à Madrid sans attendre une réponse définitive, dans la crainte « que l’on ne découvrît qu’un Espagnol avait de nombreux entretiens avec Bismarck. »

Bismarck n’était pas de ceux que les obstacles découragent. Il ne veut pas permettre que les autres se découragent plus que lui et que Prim soit déconcerté par la réponse négative de Léopold que lui apporte Salazar. Il veut aussi écarter l’objection du Roi et des princes sur les hasards de l’entreprise. Il obtient d’envoyer, comme agens du gouvernement prussien, bien que leur qualité soit cachée sous l’incognito, deux hommes de sa confiance, Lothar Bucher et le major Versen. Le premier, esprit pénétrant, secret, très expérimenté, au courant de tous les replis de la politique bismarckienne, ayant gardé de ses origines démagogiques une haine intense contre Napoléon III ; le second, soldat très décidé, connaissant à merveille la langue espagnole. Ils se mettront en rapport avec Salazar et Bernhardi, réconforteront Prim, parcourront le pays et feront un rapport sur les probabilités de succès de la candidature. Cette démarche, autant au moins que le Conseil du 15 mars, « prouve qu’on était décidé à Berlin à poursuivre l’affaire espagnole sérieusement, et que le gouvernement y était engagé plus profondément qu’il ne l’avouait publiquement et officiellement[1]. »

Versen est mandé de Posen à Berlin dans les premiers jours d’avril et part aussitôt avec Lothar Bucher. Pendant qu’ils enquêtent en Espagne, Fritz de Hohenzollern, retrouvé, arrive de Paris à Berlin. La princesse Joséphine, mère ardente, mêlée à toutes les résolutions de la famille, accourt et pèse avec lui, en un parfait sang-froid, le pour et le contre ; le prince Antoine conseille le pour, mais à trois conditions : 1° une majorité des deux tiers aux trois quarts dans l’élection ; 2° une assurance contre la banqueroute d’Etat ; 3° le vote préalable de toutes les lois anticléricales pour que l’odieux n’en rejaillisse pas sur le nouveau souverain. Mais Fritz est plus rebelle que son frère, précisément parce qu’il vient des Tuileries où il a été comblé de bons procédés. Il n’acceptera que si le Roi ordonne, sinon il

  1. Ottokar Lorenz.