Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il se moquait comme de tout le reste du monde non allemand… Ne riez pas si vous pouvez.

Ottokar Lorenz, admirateur très passionné de Bismarck, répond à cette divertissante invention : « Les dispositions de M. de Bismarck étaient trop connues de la diplomatie française et de l’Empereur pour qu’ils pussent attendre quelque chose de favorable et de bienveillant de cet indomptable Allemand. » En effet, rien de moins bienveillant et de moins favorable, en réalité, que les motifs invoqués par Bismarck, tels que le prince Antoine les explique : « C’était, dit-il, l’accomplissement d’un devoir patriotique prussien. » Quel pouvait, être, à cette heure, le devoir patriotique prussien à accomplir en Espagne, si ce n’est de susciter cette guerre contre la France, sans laquelle l’Unité de l’Allemagne restait en panne ?

La délibération fut suivie d’un dîner chez le prince Antoine. « Si Napoléon prend cela mal, sommes-nous prêts » ? dit Jules Delbrück. A quoi Moltke répondit affirmativement avec une agréable confiance. Que l’empereur Napoléon III le prît mal, aucun homme sérieux n’en doutait, surtout en Espagne : le ministre prussien Kanitz lui-même annonçait de Madrid que « de cette candidature résulteraient beaucoup de dangers. » Les révélations du prince Antoine, sur le Conseil du 15 mars, sous la présidence du roi de Prusse, frappent au cœur le système de mensonges échafaudé en vue d’établir que la « candidature de Léopold fut une affaire de famille anodine à laquelle le gouvernement prussien était demeuré étranger. Il était naturel que le Roi, sur une affaire privée, consultât Bismarck qu’il consultait sur tout. Mais qu’avait à voir, dans une question de cette nature, cet aréopage de diplomates, d’hommes de guerre, d’administrateurs que le Roi, très jaloux de son autorité de chef de famille, n’eût certainement pas réuni et consulté s’il s’était agi d’une simple affaire intime sans aucune importance internationale ? »

Il est donc constant que le Roi, dès qu’il fut informé de la candidature du-prince Léopold, la considéra comme une affaire d’État, et qu’il y initia, sous le sceau du secret, les hommes les plus autorisés de son gouvernement. Il est de plus constant que Bismarck n’avait pas choisi Léopold à cause de sa capacité présumée à bien gouverner l’Espagne ou de son alliance avec la famille royale de Portugal, mais uniquement parce qu’il