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pittoresque de M. Lucy, cet excellent observateur de la vie parlementaire depuis vingt-cinq ans, « on croit entendre dans tout ce qu’ils disent le froufrou de la robe de soie[1]. » A peine si l’on peut citer, en quarante ans, trois ou quatre avocats qui aient pris position au Parlement. M. Asquith est la plus brillante parmi ces exceptions.

Du reste, il n’abusait pas de l’attention que lui accordait si volontiers la Chambre. Obligé de réserver la plus grande partie de son temps au métier dont il vivait, il ne prononça qu’une douzaine de discours durant les six années que dura cette législature. Mais son intervention dans le débat ne passa jamais inaperçue. La salle du parlement qui, à l’heure du dîner, surtout pendant les soirs d’été, est un des endroits les plus solitaires de Londres, se remplissait lorsque Asquith se levait. C’était cette parole lucide, sensée, directe qui avait désigné, dès Oxford, le futur debater. L’articulation était parfaite, sans affectation d’aucune sorte, et l’organe avait pris de l’ampleur. Le regard était direct comme la parole ; le visage portait déjà tes plis d’une honorable et précoce fatigue, mais cette fatigue du labeur intellectuel ne confond jamais ses traces avec celle du plaisir. Sur ce visage paie et grave, marqué au sceau de l’intelligence et de l’autorité, passait quelquefois un sourire, rapide comme la brève ironie qui détendait un moment la sévérité de son discours.

Plusieurs fois, il s’éleva contre le régime répressif inauguré en Irlande par le gouvernement tory. Son discours le plus caractéristique, peut-être, eut pour but de plaider en faveur de l’indemnité parlementaire. Après l’avoir justifiée au point de vue de la logique démocratique, il discuta, en homme pratique qu’il est et sera toujours, la question des voies et moyens. Il lui semblait facile de fournir les 250 000 livres nécessaires aux appointemens des députés en rognant les salaires excessifs de certains fonctionnaires. On voit qu’il proposait hardiment deux réformes au lieu d’une.

Du reste, à cette époque, il était le type du gladstonien fidèle et marchait, en quelque sorte, dans l’ombre de son chef, comme le montrera cette péroraison, très applaudie, d’un discours qu’il prononçait à Nottingham, le 18 octobre 1887, dans la réunion annuelle de la National Liberal Federation :

  1. Les King’s Counsels portent la soie. Passer de l’état de simple barrister at law à la dignité de King’s Counsel, cela s’appelle « prendre la soie. »