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qu’il rêve d’établir, un prince italien comme président ? A Antivari, les Italiens ont entrepris les travaux du port. Les bateaux du lac de Scutari leur appartiennent. Les côtes qui s’allongent en face de celles de leur pays sont, à la vérité, singulièrement inhospitalières aux Italiens : celles du Nord appartiennent aux Autrichiens et aux Hongrois qui sont leurs alliés, mais non leurs amis ; celles du Sud sont ottomanes, pas un chemin de fer, pas une route n’en part pour s’enfoncer dans les montagnes et gagner la vallée du Vardar et la Macédoine ; et pourtant on suit encore, de Durazzo à Salonique, l’ancienne voie romaine de Dyrrachium à Thessalonique qui fut, durant tant de siècles, la grande route d’Occident en Orient, la plus fréquentée peut-être du monde entier ! Il était donc à prévoir que l’Italie appuierait tout projet qui percerait l’écran de montagnes et de populations sauvages qui sépare les ports de l’Adriatique des marchés de l’intérieur.

Une société, où entrent des élémens italiens, russes, serbes et français, s’est formée, avec l’appui de la Banque ottomane, pour étudier les tracés dans toute la partie à construire en territoire ottoman. La Russie a adopté le projet pour y chercher à la fois une revanche et une compensation. La France s’y est déclarée favorable ; l’Autriche et l’Allemagne n’y font point d’opposition ouverte. Le Cabinet de Vienne, qui proclame que sa politique est préoccupée avant tout d’intérêts économiques, n’a aucune raison à faire valoir contre le chemin de fer Danube-Adriatique. Mais n’y a-t-il pas bien des manières de ne pas s’opposer à un projet ? Il ne sera pas difficile aux représentans de l’Autriche auprès d’Abdul-Hamid de laisser deviner que leur gouvernement verrait sans trop de déplaisir l’ajournement du projet. On peut craindre que la Turquie ne se montre pas très empressée à accorder un chemin de fer qu’il faudrait tracer à travers un pays difficile, peu sûr, dont elle ne tirerait que de faibles avantages et pour lequel on lui demande une onéreuse garantie d’intérêts[1] : on n’est pas sans se rendre compte, à la Sublime Porte, que le projet favorise les intérêts de la Serbie et ceux de l’Italie ou du Monténégro, beaucoup plus que ceux de l’Empire ottoman ; car la ligne traversera des régions montagneuses, peu riches et, au

  1. On calcule que la ligne, depuis la frontière serbe jusqu’à la mer Adriatique coûterait environ 50 millions de francs ; de Nisch à San Giovanni di Médua on compterait 400 kilométras, dont une partie en territoire serbe.