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retentissement extraordinaire que l’exposé du baron d’Æhrenthal allait avoir dans cette opinion publique qui n’est plus aujourd’hui, dans l’Empire des Tsars, une quantité négligeable. La parole du ministre autrichien est tombée en Russie dans un de ces momens de susceptibilité nationale que, les peuples traversent après les grandes secousses. Le projet de chemin de fer d’Uvac à Mitrovitza n’était pas directement contraire au texte de la convention de Mürzsteg, ni à l’accord de 1897 ; le comte Goluchowski, au moment où fut conclue l’entente, et l’empereur François-Joseph lui-même, lors de son voyage à Saint-Pétersbourg, avaient pris soin de réserver la liberté d’action de l’Autriche pour sa politique de chemins de fer en Bosnie et dans le sandjak de Novi-Bazar. Le Cabinet de Saint-Pétersbourg ne pouvait donc pas, au sens propre du mot, être surpris de l’événement. Il le fut toutefois parce qu’il avait cru que les réserves de l’Autriche, faites en vue de l’avenir, n’indiquaient pas de sa part l’intention d’user immédiatement de ce qu’elle considérait comme son droit, d’autant plus qu’il avait fait connaître lui-même l’impression pénible qu’il éprouverait s’il en était autrement. Il ne paraît pas d’ailleurs que, dans l’entrevue qui eut lieu en septembre dernier entre M. Isvolski et le baron d’Æhrenthal, celui-ci ait clairement annoncé son projet à son collègue dont l’étonnement et l’humeur, après le discours du 27 janvier, ne furent pas joués.

L’effet produit fut considérable et inattendu ; la presse russe s’éleva avec une bruyante unanimité contre la politique autrichienne. Jamais l’entente avec Vienne n’avait été populaire en Russie, mais on la considérait du moins comme une garantie, et voilà que le discours du baron d’Æhrenthal renversait tout d’un coup cette illusion et brusquement dévoilait tout le chemin parcouru par l’Autriche à l’abri de l’entente. Le Tsar lui-même ressentit un déplaisir d’autant plus vif que le baron d’Æhrenthal était naguère encore (septembre 1906) ambassadeur et « persona grata » à Saint-Pétersbourg, qu’il passait pour un ami personnel de M. Isvolski et qu’il ne dissimulait pas, depuis son arrivée au Ballplatz, son désir d’arriver à reconstituer l’entente des trois empereurs. L’ambassadeur du Tsar à Vienne, le prince Ouroussof, fut appelé à Saint-Pétersbourg. Toute la presse russe, profitant de l’émoi général, proclama qu’un tel incident mettait fin à la politique d’effacement inaugurée en 1897, et au système de