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traiteur Véry logeait son « dieu Comus, » — la bombance et l’indigestion. À la saison fleurie, sous les tièdes caresses d’un soleil de printemps, ce promenoir bruissait, peuplé de chatoyans costumes. On y voyait, lorgnant et caquetant, la merveilleuse à robe traînante, vêtue d’un vaporeux linon, nippée et coiffée « à l’enfant, » parée d’une rose moussue piquée sur sa capote, et montrant, peu bégueule, tout un invitant décolletage. Le petit-maître, fagoté en chenille, exhibait son pantalon gris-perle, ses escarpins vernis, son habit vert à collet noir, l’irréprochable nœud de sa cravate blanche, et, mieux frisotté qu’un bichon, balançait, languissant, sa minuscule badine. Des bambins, plaisamment attifés : fillettes à tunique athénienne, garçonnets affublés en mamelouks, trottinaient, précédant leur mère, tandis qu’à côté de madame, un greluchon sentimental lui glissait à l’oreille la fadeur enjôleuse. C’était aussi l’incessant va-et-vient des citoyennes phrynés, Vénus du racolage, ou la bruyante flânerie d’officiers de la Garde, en quête de victimes. Ailleurs, de plus gracieux spectacles. Autour d’un marbre antique, nudité olympienne, de blanches jeunes filles, aux seins moulés par le fourreau grec, dansaient en chantant quelque ronde, boulangère de circonstance :

La paix, ce bien si désiré,
Règne enfin sur la France ;
La paix, la douce paix !

Çà et là, des marchands de coco faisaient tintinnabuler leur sonnette ; pour six liards on vendait la talmouse, le gâteau de Nanterre et même le plaisir. Une rumeur de folâtres jaseries, d’appels, de cris d’enfans, montait dans l’air poudreux ; partout, c’était l’exubérante gaieté d’un peuple croyant connaître enfin la douceur de vivre… Et dominant ces parterres, ces gazons, ces massifs, toute cette multitude en liesse, s’élevait le Château des Bourbons, palais du gouvernement consulaire. Un jeune César, premier magistrat d’une République trop vieille, l’emplissait de son faste royal, — plus roi vraiment que ne se fût montré le Roi même. Naguère, un arbre de la Liberté profilait encore près du Carrousel sa débile silhouette : on l’avait abattu. Mais sur les murailles du Château, s’étalait toujours la dérisoire devise : Liberté, Égalité, Fraternité… Il vous avait donc conservés, mots sonores, décevantes formules qui firent jadis délirer nos pères !