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fermerait sa porte à la coureuse, et son pauvre homme de père venait d’être frappé d’un coup de sang ! Malheureuse, ah ! malheureuse : avoir aimé un Donnadieu ! » Le tout agrémenté, sans doute, d’expressions populacières, de mots orduriers, d’insultes crachées en plein visage : l’idylle à la Florian se terminait par des coups de gueule à la Vadé.

Mais soudain, l’éplorée se calma pour minauder, câline : « Oh ! le clair et gai soleil de printemps ! Par ce beau jour de floréal, une dernière folie amoureuse serait pour la pauvrette un tel bonheur !… Oui, oui, parcourir encore une fois, revoir, au bras de son amant, de son ingrat et cruel amant, les lieux où il avait, perfide ! juré un éternel amour, quelle volupté suprême et quels inoubliables adieux !… » Les pleurs s’étaient séchés ; le sourire à présent remplaçait les sanglots : l’ingrat et cruel amant n’osa point repousser ce gentil caprice de grisette… « Va donc pour la corvée sentimentale, dernière lubie d’ailleurs que lui imposerait la petite ! »

Et ils s’acheminèrent vers le jardin des Tuileries.


En dépit de la Révolution, les Tuileries de l’an X étaient demeurées l’élégant rendez-vous, « le pays du beau monde et des galanteries. » Plusieurs gravures de cette époque, d’amusans tableautins de Boilly ou de Carle Vernet ont reproduit l’aspect de cette promenade, l’Eden du Parisien en 1802. Très fréquenté, plein de vie, de joies, de turbulences il ne ressemblait pas au préau vermoulu, morose et solitaire que nous négligeons aujourd’hui. En face du pont, jadis Royal, naguère de l’Égalité, à présent des Thuileries, s’ouvrait une large avenue sablée. Interdite aux voitures, elle longeait, encadrée d’arbustes et d’orangers en caisse, la façade récemment restaurée du château. A gauche, des tapis verts, des jardinets diaprés, des bassins à jets d’eau, des statues et des cratères de marbre, d’épais massifs de marronniers ; à droite, le Palais du Gouvernement, ses hautains pavillons, ses galeries à pilastres, son double corps de bâtimens Renaissance, la lourde majesté de son dôme épanoui. Devant la rue Dauphin (un nom de cétacé remplaçait un titre de prince), l’allée changeait de direction et, descendant par quelques marches, tournait brusquement à gauche. Là, non loin de l’ancien Manège, se dressait, ayant double fronton et colonnade dorique, un restaurant célèbre ; temple grec, Parthénon de bois peint, où le