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Devenu fort prudent, il se hâta de donner congé au jacobin, son propriétaire. La pension clabaudeuse de la rue du Sentier lui paraissait compromettante ; ce mal pensant de La Chevardière y venait trop souvent, et Donnadieu ne voulait plus connaître le confident de ses douleurs passées. Il partit donc sans indiquer sa nouvelle adresse, en laissant impayées toutes ses factures de maquignons : Sergent et les créanciers perdirent la trace du fugitif. Seul, toutefois, Alexandre Brière savait où rencontrer cet homme à précautions. Oh ! loin, très loin du café Voltaire, du Luxembourg, de ses dangereux quinconces ; dans un discret hôtel, au quartier des Filles Saint-Thomas. Donnadieu lui promit de l’emmener au pays de Cocagne, et alléché, l’inconstant Brière oublia jusqu’à son amour pour la divine Emira.

Heureux homme, ce Donnadieu ! Toutes les félicités lui arrivaient à la fois : le chef d’escadrons allait devenir père… Un soir, Julie Basset lui révéla qu’elle était grosse ; mais l’émouvante nouvelle enchanta peu le suborneur :… « quel ridicule ennui ! » Soit frayeur des lamentations, soit complète absence de loyauté, il faisait croire à sa crédule maîtresse que, retournant en Cisalpine, il l’installerait dans sa garnison. Impossible pourtant de l’emmener aux Indes ! La rupture devenait nécessaire, et d’ailleurs, fatigué maintenant de « Petite Julie, » le volage amant désirait en finir. Avec son air de sainte ni touche, d’ingénue à la cruche cassée, la douce amie causait de l’inquiétude à son cher Gabriel. L’innocente, — absurde naïveté ! — ne se résignait pas à n’être qu’un caprice de semestre, amusement de mauvais sujet. Se faisant tracassière, querelleuse, excédante, elle osait à présent menacer : « Le mariage, oui, le mariage ou sinon… » Les pervers instincts de gamine parisienne qui sommeillaient en elle s’étaient éveillés, dangereux… Mais, bah ! au cours de sa vie de caserne, le dragon avait entendu gémir tant et tant d’Arianes indignées ! Un peu d’argent suffisait d’habitude à consoler des inconsolables. Et puis, se disait-il, lorsque l’accouchement aura lieu, moi j’aurai depuis longtemps pris le large : aux deux vieux Basset, le marmot !… Donnadieu-Donne-au-Diable avait assurément la conscience complaisante.

Le galant désirait donc s’esquiver au plus vite. Sa bourse était à sec ; les bureaux de la Marine lui refusaient la moindre avance ; il réclamait sa solde ; le ministre Decrès le renvoyait alors au ministre Berthier, et d’amiral en général, de général en