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Chez tous ces gens de la « Patience, » on n’aperçoit ni dessein, ni programme politiques. D’apparence jacobine, leur société travaillait-elle pour les Jacobins ? La mort de Bonaparte avait-elle été commandée par l’ambition félonne d’un rival, d’un jaloux ? Quelques contemporains ont formulé cette assertion, mais les documens d’archives détruisent la captieuse hypothèse… Réputés sujets brouillons ou dangereux, soldats sans discipline, ou sans morale, Bernard, Clément, Truck et les autres ne frayaient guère avec les généraux. Clément, durant un séjour de six mois à Paris, ne fut reçu qu’une seule fois par Augereau ; Bernard trouva toujours « visage de bois, » au château de Rueil, chez Masséna. Truck, — il est vrai, — faisait souvent visite au défenseur d’Ancône, le général Monnier. Peu enthousiaste de Bonaparte, Monnier le Provençal accueillait volontiers ce cadet de Provence, naguère un compagnon de ses combats. Dans sa coquette maison du quai de Chaillot, au cours de quelque « déjeuner à la fourchette, » critiqua-t-il le Premier Consul ? Laissa-t-il, riant de ses triviales saillies, le jeune freluquet brocarder sans mesure le « Corse « et sa famille ? Oui, peut-être ! Peut-être encore l’ordonnateur se risqua-t-il à parler d’un attentat possible. Mais de grossiers propos, d’insultantes facéties, des blagues de corps de garde ne constituent pas chez celui qu’ils amusent une complicité. Le protecteur d’Anselme Truck affirma toujours sa propre innocence, et son dossier ne contient pas de pièces accusatrices. Au surplus, eût-il voulu tirer le sabre, qu’aurait pu accomplir Monnier ? Simple divisionnaire depuis deux ans à peine, peu connu du soldat, très ignoré du peuple, il n’occupait qu’un rang subalterne dans la République : aucun des ambitieux de l’armée ne l’eût accepté pour dictateur.

Brune aussi montrait quelque bienveillance à des gens qu’il avait malmenés. Faisant taire les rancunes de son estomac, le grand Marius forçait parfois la porte de son persécuteur, l’amusait par ses jactances, et parvenait à lui soutirer l’aumône. Doit-on croire alors qu’en leurs entretiens, le vainqueur de Bucelingo encouragea la conspiration ? On peut hardiment affirmer le contraire. Jadis ardent républicain, âme damnée de Robespierre, son séide et presque son valet, ayant même épluché la salade de l’« Incorruptible, » Brune passait pour être un des « derniers Romains. » Mais ce Romain, rafleur de dépouilles opimes, n’avait rien, hélas ! d’un Cincinnatus. Aujourd’hui conseiller