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la vie, ce merveilleux Anselme avait peu les façons d’un jacobin rigide. Son père, simple rustaud de Cabris, en Provence, ne pouvait guère payer à son garçon des habits de gala, des soupers chez Véry, des vertus du Palais-Royal, et néanmoins le fils du paysan faisait force dépenses. Qui donc lui fournissait tant d’écus ? Assurément, ce n’était point Bernard ; mais Marius, — un poète ! — planait au-dessus des misères de la vie ; il ne s’inquiétait pas du problème, croyait aux sains principes d’un sans-culottes par trop bien requinqué, et frayait avec un camarade, naguère son complice à Milan.

Ce fut donc au café Voltaire que Donnadieu entra en relations avec l’ordonnateur. Bernard les présenta l’un à l’autre ; ils étaient tous deux du Midi : l’amitié fut prestement faite. Donnadieu le Nîmois, Marius d’Azaï, Truck le Cabriscan durent patoiser avec délices, puis on alla muser ensemble dans les jardins du Luxembourg.


Longtemps ils se promenèrent sur la profonde et taciturne terrasse qui dominait alors l’ancien ermitage des Chartreux. Çà et là, vaguaient sous les marronniers quelques individus d’aspect misérable, vêtus de la capote, coiffés du chapeau militaire. Bernard les connaissait et, de la main, leur adressait des saluts protecteurs. Parfois, se rapprochant, un de ces marmiteux interpellait Anselme Truck : « Patience ? » — « Patience ! » Et sur-le-champ, Anselme s’éloignait avec le personnage, pour converser en grand mystère, et lui donner un peu d’argent…

Bizarre, en vérité !… Mais bientôt, Donnadieu ne conserva plus aucun doute : tous ces gens conspiraient.


VI. — PATIENCE !

Leur complot attira très vite un chercheur d’émotions : tête folle, âme rancunière, l’ami de Marius Bernard s’associa aux projets des conspirateurs.

Ils devaient être nombreux, bien que les dossiers de la police ne contiennent qu’assez peu de noms… D’abord des officiers, mis en réforme pour la plupart, français, italiens, allemands francisés : le chef d’escadrons Joseph Haupt, de Mayence (Mont-Tonnerre) ; les chefs de bataillon Raybaud et Martin, Buffa et Belgrano dit Belgrand, deux Piémontais ; les capitaines Arnoux