Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perle, chaussé de bottes anglaises, — et cet homme élégant, c’était La Chevardière…

Parfois, vaguant de la sorte, ils rencontraient quelque haut personnage de l’armée, brigadier ou divisionnaire. Tantôt, ce général se nommait Gardanne, le ci-devant aux nobles façons ; tantôt, il s’appelait Delmas, l’abrupt et vaillant Limousin. Amateur du « sexe charmant, » « le Sauvage » dut détailler avec complaisance la délurée friponne qui minaudait à tout venant : « heureux coquin, ce Donnadieu ! » Lui, profitait de telles rencontres pour quémander une apostille, et se plaindre de Bonaparte. Toujours en verve, il plaisantait sur le Consul : on riait de ses facéties, on répliquait par des sarcasmes, — et La Chevardière écoutait… Parfois encore, ils se croisaient avec un officier mis en réforme. L’homme était reconnaissable à sa trogne martiale qu’enluminaient les rogommes, à ses habits bourgeois agrémentés de boutons d’uniforme, au gourdin qu’il faisait tournoyer, provocant. Alors, un clignement d’œil, des gestes, toute une mimique bizarres ; Donnadieu quittait aussitôt sa compagne, et s’en allait converser avec l’inconnu. Que pouvait-il conter à un quidam d’aussi minable tournure ? Julie se le demandait ; La Chevardière aussi…

L’acharné postulant continuait néanmoins ses démarches, et fatiguait de visites les généraux, ses protecteurs. Installée dans un cabriolet, sa patiente et curieuse maîtresse attendait pendant de longs quarts d’heure, regardant, remarquant. Plus tard, en son parler de jeune portière, elle narra quelques souvenirs. « Il a été chez Berruyer ; il y est resté deux ou trois minutes ; il y avait un individu qui sortait… Il a été chez Masséna : il y avait du monde… Il a été chez Augereau : il y avait un grand déjeuner… » Une bien inélégante mémoire !… Oui, l’amant se fût montré plus sage en laissant, certains jours, l’amante se morfondre au logis ; mais, au dire des mystiques, l’un des caractères de l’amour, serait l’ « inséparabilité, » — fort vilain mot, du reste.

Germinal, pourtant, ne s’acheva pas chez eux sans orage : quelques disputes troublèrent l’harmonie d’un si parfait bonheur. Donnadieu était soudain devenu bizarre, agité, irascible. Le navrant insuccès de sa chasse à l’épaulette l’exaspérait ; ses colères contre Bonaparte tournaient à la frénésie ; il proférait d’énigmatiques menaces : « Patience, patience ! Tout cela va bientôt