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le gilet à manches, paraît n’avoir été qu’un imbécile solennel. Dans ses suppliques au ministre de la Guerre (elles existent encore) il se qualifie de « vieillard vénérable, » et ses colères paternelles s’expriment en des sublimités de style, dignes du plus éloquent des Jocrisses. Son épouse, en revanche, cerveau mieux délié, possédait l’expérience d’un philosophe en jupes qui connaît bien les hommes. Peut-être avait-elle rêvé pour son « moineau chéri » une cage très dorée, galant hôtel offert par un barbon de la finance. Mais, à défaut de banquier entreteneur, elle s’était rabattue sur l’énamouré Donnadieu. Après tout, devenir belle-mère d’un officier de cavalerie, pouvoir dire à d’envieuses voisines : « mon gendre, le capitaine, » n’était point une aubaine à dédaigner. Prudente, néanmoins, elle exigea du soupirant une promesse formelle de mariage. Donnadieu engagea sa parole : épris et convoitant, il avait le serment facile. On fixa l’époque des épousailles, puis, en attendant le grand jour, le modèle des mères continua de surveiller sa fille…

Que se passa-t-il alors ? Basset, le vieillard vénérable, et son ambitieuse moitié trouvèrent-ils pour leur gentil friquet un parti plus avantageux ? Reçurent-ils de fâcheux renseignemens sur le séducteur de tant d’innocences ? On peut le supposer, car tout fut rompu. Des scènes, — nous le savons, — éclatèrent aussitôt, furieuses, dans la boutique de passementerie ; la grisette était assotée d’amour : sous les taloches moralisantes Julie larmoya, Julie s’indigna, Julie trépigna. Mais elle n’était pas citoyenne à supporter longtemps ce genre de persuasion. Par un soir de ventôse, l’oiseau s’envola pour aller rejoindre le fascinant dragon. Il l’installa dans un garni du voisinage, et l’idylle de la rue de la Planche se continua dans la rue du Bac.

Ce furent, durant quelques semaines, d’ineffables tendresses. Ventôse déversa sur Paris ses dernières giboulées ; germinal commença de verdir les bocages de Tivoli, — et Donnadieu aimait toujours ! Il ne cachait pas son bonheur, l’étalant aux regards, produisant sa conquête dans les promenades à la mode, aux Tuileries comme aux Champs-Elysées. Par les clairs après-midi de printemps, les mirliflores allongés sur deux chaises pouvaient, de leur double lorgnon, reluquer la sensible Julie. Mieux nippée désormais qu’une maîtresse de riz-pain-sel, elle trottinait, suspendue au bras de son bel officier. Près d’eux marchait, faisant des grâces, un citoyen vêtu d’un frac gris