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avancement rapide, car ses supérieurs le jugeaient peu sérieux, bien flâneur, trop poète. Trop poète, il Tétait : le folâtre garçon caressait imprudemment la muse, une muse au péplum retroussé, la Thalie des goguettes. Faisant, chaque mois, ripaille, aux Dîners du Vaudeville, en compagnie d’Armand Gouffé, de Piis ou de Desfontaines, il procréait biribi ! une littérature à la façon de barbari, mon ami. En ces temps-là, du reste, maints gratte-papier rédacteurs, voire expéditionnaires, cachaient dans leurs cartons des turlures ou des parodies ; le clerc d’avoué, de notaire, d’huissier même, imitaient leur exemple, agitaient « les grelots de Momus, » maniaient « l’archet de la Folie, » et, dans l’atmosphère de la paperasserie à chicane, passait comme une contagion de rimailles. Année fabriquait, en outre, d’égrillardes bluettes. Le théâtre de la rue de Chartres avait représenté divers produits de son badinage : un Gille ventriloque, un Arlequin décorateur, le Carrosse espagnol ; bref, c’était en 1802 une moitié de Gersin, presque un Dieulafoy tout entier. Qui donc, alors, eût pressenti, dans ce jovial luron, un futur intendant militaire, maître des requêtes au Conseil d’Etat ?

Les flons-flons, toutefois, ni les couplets de facture n’absorbaient pas à eux seuls les loisirs du poète. Année variait ses passe-temps, et lon lon la s’occupait de police. Non, certes, qu’il dénonçât ou même qu’il indiquât ; mais, en fin psychologue, il conseillait. Convoqué par Davout, il se rendait parfois dans l’ombreux pavillon qu’habitait le général, restait en conférence avec cet homme bourru, causant peut-être d’autre chose que de tactique ou de stratégie. Du reste, bon camarade, il cherchait à servir ses amis, montrait quelque indépendance et s’attirait ainsi d’acerbes réprimandes.

Ignorant ce dernier emploi d’une aussi rare intelligence, Donnadieu prodiguait les visites à l’amusant jeune homme. Année, le joyeux vaudevilliste, était marié, et son ménage occupait, rue de la Planche, un logis, aux environs des Récolettes. Grenier de poète, modeste domicile de commis-rédacteur, l’appartement d’un tel ami était bien haut perché sans doute, car avant de gravir l’escalier, Donnadieu faisait toujours une longue halte. Il entrait dans la loge du concierge, et n’en sortait qu’après maintes causeries. Cette loge était également une boutique de brodeuse où se vendait de la passementerie militaire. Certes, l’humble magasin n’offrait point aux regards ces