Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de toilette à l’usage de ce Brummel du jacobinisme : son frac de drap gris perle, son gilet de casimir blanc, ses culottes de nankin, ses bottes à l’anglaise. Cambrant la taille, il a retrouvé son éloquence des grands jours ; des maximes dignes de Montesquieu, du pathétique à la Jean-Jacques sortent à nouveau de ses lèvres pincées ; sa phrase doit résonner pareille à sa rhétorique d’autrefois : « La lumière se trouve partout où un grand nombre d’hommes se rassemble !… La présence du peuple a toujours suscité la vertu !… » Voilà du style, et voilà des pensées ! Lebois approuve, Emira soupire, Donnadieu est émerveillé.

La Chevardière le connaissait. Lieutenant de hussards, le jouvenceau à dolman vert avait escorté jadis le délégué des Jacobins, traversant en berline les incendies de la Vendée. On se retrouvait donc après neuf ans d’absence : « Donnadieu ? le fils du vaillant sans-culotte ? » — « Lui-même ! » — Eh quoi ! simple capitaine encore ? » — « Hélas !… » La jeunesse est chose légère, et, même vieillie, la cervelle de cet inconscient ne fut jamais bien pondérée. Très vite il ressentit l’attrait d’un homme à sublimes principes, autre victime de Bonaparte. Il lui accorda sa confiance entière. Au sein de l’amitié, comme on disait alors, il déversa ses gros et menus secrets, racontant ses ennuis, ses tristesses, ses rancœurs, ses besoins de vengeance. Et, tout en écoutant l’affligé, son confident excitait ces fureurs. Compatissant La Chevardière ! Un jour, de plus en plus godiche, le crédule officier lui présenta sa maîtresse… Il était tout glorieux de l’exhiber…

Cette maîtresse était bien, en effet, la plus précieuse des trouvailles, — le rarissime trésor d’amour si vainement cherché par Donnadieu dans la foule des fanciulle, voire des ragazzines de sa garnison italienne. Maintenant, il ne roulait plus seul dans son cabriolet ; près de lui se pavanait une petite personne, Atala peu sauvage, découverte en la loge d’un citoyen portier : la sémillante demoiselle Julie Basset.


IV. — UN FRIQUET PARISIEN

Parmi les quelques personnes que Donnadieu, si souvent aux armées, pratiquait à Paris, se trouvait un aimable jeune homme, employé de ministère, le citoyen Antoine Année Rédacteur à la Guerre, ce commis n’avait pas obtenu un