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connaître par l’infamie de ses diatribes. Écrivant à la manière des « forts en gueule, » rédacteur du second Père Duchesne, il avait, après le « raccourcissement » d’Hébert, ramassé la plume d’ignominie, et pendant nombre d’années, les b… avec les f…, l’insulte, l’outrage, l’ordure s’étaient échappés, sans talent, de l’encrier d’un malotru. Mais aujourd’hui, privé de tout journal, Lebois se taisait rageusement… Des artistes, des hommes de lettres et beaucoup d’opposans politiques devaient également fréquenter le salon d’Emira. Un rapport de police y signale, en effet, des tribuns, mais sans les nommer : Andrieux, peut-être, et peut-être Chénier ; de pareilles hypothèses n’ont rien d’invraisemblable.

Que pouvaient-ils se dire au cours de ces agapes où prenaient part les pensionnaires de la maison meublée ? Aisément, on le devine : des vétilles, de simples riens que la police transformera en choses énormes. Ces mécontens ont peur : ils parlent donc par épigrammes discrètes, sous-entendus voilés, ironiques sourires, gestes de muette désolation. Sergent est un artiste, Lebois un homme de lettres : on cause d’abord de tableaux et de livres. Navré du récent insuccès de son burin, le graveur déplore la fin du grand art. Il s’apitoie : la mignardise, le petit faire, la mièvrerie reviennent à la mode ; depuis qu’il courtise Bonaparte, David lui-même a perdu son talent ! « Et quels écrivailleurs, réplique Lebois, déshonorent à présent le Parnasse ! » Le gazetier philosophe bafoue tous ces grimauds de sacristie, nouveaux apôtres de l’obscurantisme : le converti Laharpe, ce farceur de Fontanes, le grotesque Chateaubriand. Chateaubriand surtout et son Atala, la splendeur de l’image, l’éloquence cadencée de la phrase, la poésie d’une prose plus mélodieuse encore que les harmonies d’un poète, toutes les beautés d’une œuvre où la passion est chaste et la vertu chrétienne n’ont, f… ! pas le don de plaire à ce diseur d’ordures, incarnation seconde du marchand de fourneaux… Mais La Chevardière vient d’entrer ; un heureux hasard l’a conduit, ce jour-là, chez son ami Sergent : la causerie verse dans la politique…

Agé de trente-six ans, et toujours très gaillard, avec ses rares cheveux taillés à la Titus, son large front en fer à cheval, sa face épanouie et rougeaude, ses nageoires en virgule, il porte beau sans être séduisant. Mais quelle rare élégance ! L’admiration d’un observateur de police nous a conté tous les raffinemens