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lui. Il veut alors tâter de la diplomatie, sollicite une ambassade, n’obtient qu’un consulat. Envoyé à Palerme, il va d’abord flâner en Italie, y muse et s’y amuse, s’embarque enfin, se laisse capturer par l’Anglais, s’évade, puis revient à Paris. Là, se faisant auteur, il écrivaille et confie au public ses « Observations sur Naples. » Oh ! rien d’un voyageur sentimental ; point de songeries au clair de lune, de pleurs épandus sur les ruines ; mais la littérature économique, philosophique, diplomatique d’un homme d’État. D’ailleurs, il postule encore. En bon Français, friand des sinécures, il demande, intrigue, et redevient haut fonctionnaire à l’Hôtel de Ville. Tout à coup Bonaparte débarque à Fréjus. La Chevardière aussitôt s’agite, fait du zèle, et, pour un ambitieux d’esprit si délié, commet une bien lourde bêtise : il conseille à Barras de faire emprisonner le « fuyard de l’Egypte. » Après le 18 Brumaire, il est donc destitué… Plus de rêves, désormais, de ministère ou d’ambassade ; adieu les longs espoirs et les vastes pensées : Bonaparte a la rancune vivace ; sa mémoire sévit implacable ! Bientôt même un cruel péril menace l’homme à la vieille vertu. N’est-il pas, ancien terroriste, un des « buveurs de sang » qu’on expédie sous les Tropiques ? Mais le futé La Chevardière se dérobe à l’honneur du martyre. Paris lui plaît : il s’accroche à Paris… Alors, un troisième avatar, — la plus amusante de ses métamorphoses.


Assidu aux réceptions d’Emira Sergent, La Chevardière y rencontrait plusieurs visages de connaissance. Nous savons, grâce à la police, les noms de quelques imprudens qui se risquaient dans ces réunions. Pour la plupart, ce sont d’inoffensifs quidams : des gens nommés Dutemple et Lagarelle, ou bien un certain Alexandre Brière, « riche malaisé, » au dire des domestiques. Le pauvre hère s’était épris de cette divine Emira. Les charmes un peu mûrs de la noble femme l’attiraient à la pension bourgeoise : on l’y accueillait avec complaisance ; volontiers, on y hébergeait sa détresse. Hélas ! Fouché allait demain octroyer à ce chétif un gîte plus étroit encore que son humble logis de la rue de Luxembourg… Deux citoyens d’antique importance sont pourtant signalés parmi les commensaux de la maison suspecte. L’un, fonctionnaire, cassé aux gages, s’appelait Collin ; l’autre était un nommé Lebois, « feuilliste, » à présent sans gazette. Ce Lebois s’était, naguère, fait tristement