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Pénélope lui pardonnait : un si bel homme ! — cinq pieds huit pouces d’après son signalement — et ainsi était né Gabriel. Mais au service du Roi, un croquant huguenot obtenait, d’habitude, plus de coups de bâton que d’épaulettes dorées : après vingt ans d’un tel vagabondage, l’enrôlé Donnadieu n’était encore que brigadier. Aussi, la République en avait fait un colonel. La niveleuse recherchait alors ces brisquarts de caserne, La Ramée à triple chevron, les préférant aux « officiers belles cuisses. » Sous le dolman vert du 8e hussards, l’ancien carabinier devint un des « patauds » coupeurs d’oreilles vendéennes, qu’applaudissaient les jacobins. Lancé sur les gars du Bocage, cet émule de Canuel les avait sabrés, égorgés, éventrés férocement. Un étonnant soudard, au dire de ceux qui l’ont connu : grossier et cruel, pillard et concussionnaire, mais soldat intrépide ! Sa mort avait, du reste, été la fin pécheresse d’un mécréant, Accusé de malversations, ce martyr de l’honneur, peut-être aussi de la bouteille, s’était fait sauter la cervelle. Il laissait un digne héritier de son nom, un continuateur de sa vie.

Dès l’âge de quatorze ans, Gabriel, lui aussi, avait porté la sabretache ; hussard, à la 8e. Bon cavalier, audacieux compagnon, massacreur des gris de la Vendée, brûleur de leurs borderies, le clampin patriote avait rapidement obtenu la dragonne d’officier. Un triste sujet, néanmoins ! Les tares ataviques s’étaient transmises, aggravées même chez l’enfant du suicidé, et déjà le second Donnadieu se faisait trop semblable à son père. Irascible jusqu’à la violence, et violent jusqu’à la brutalité, sans cesse en agitation et souvent en furie, c’était un impulsif. De plus, dépourvu de scrupules : butinant comme un vieux soudrille, « picorant » mieux qu’un riz-pain-sel ; ignorant tout devoir : subornant des fillettes, les rendant grosses, puis les abandonnant, et mauvais fils, laissant dans une atroce détresse la bonne femme de mère dont il rougissait, — c’était encore un inconscient. On redoutait un tel insulteur de la morale ; ses camarades l’abominaient : « Donnadieu-Donne-au-diable » l’a baptisé Thiébault[1]… Oui, certes, « Donne-au-Diable » et diable à quatre, car il était fort brave, poussant la crânerie jusqu’à l’extravagance, ressentant l’attrait, la fascination du danger ! Ses états de services relatent d’incroyables prouesses : enlèvemens

  1. Tous ces faits sont malheureusement exacts ; on en trouve le détail dans les divers dossiers de Donnadieu (Archives Nationales et Archives de la Guerre).