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M. Clemenceau, qui était en verve, n’a pas eu de peine à lui répondre. Il a dit beaucoup de choses qui n’étaient pas nouvelles, même dans sa bouche, et qui ne le seraient pas non plus ici : c’est pourquoi nous nous abstiendrons de les reproduire. Il a montré, hélas ! avec évidence que son programme n’était pas celui des progressistes ; mais, a-t-il ajouté, « de ce que mon programme est éloigné du leur, il ne s’ensuit pas que je m’arroge le droit de les excommunier du parti républicain. » Quelle différence avec M. Combes ! Quelle différence avec M. Jaurès. M. Clemenceau est allé plus loin. « Je déclare en outre, s’est-il écrié, que je ne prétends exclure aucune fraction de cette Chambre des droits attribués par la loi à tous les citoyens français : lorsqu’un membre de l’opposition se présente dans mon cabinet pour revendiquer son droit, mon devoir est de lui reconnaître ce droit. » Est-ce bien à M. Jaurès ? n’est-ce pas plutôt à M. Combes que s’adressait ce discours ? C’est la condamnation de toute la politique, de tout le système, de toute la méthode du bloc. M. Combes, néanmoins, a de quoi se consoler. Les discours de M. Clemenceau sont des mots agréables à entendre, et qui, si la réalité y était conforme, seraient de nature à ramener la paix, la tolérance, un peu de conciliation parmi nous. Mais si la parole de M. Clemenceau domine la Chambre, l’esprit de M. Combes continue de régner dans le reste du pays. L’administration s’en inspire, soit par goût, soit par crainte, et le cabinet de travail de M. Clemenceau est peut-être le seul où un membre de l’opposition puisse utilement invoquer un droit. Il y a loin, très loin, de la parole aux actes. La France est livrée au favoritisme le plus éhonté : il s’exerce exclusivement au profit de la bande qui la gouverne. Aussi, lorsqu’on en est venu au vote, les progressistes se sont-ils abstenus. Le gouvernement a eu 319 voix contre 86, ce qui est sans doute une belle majorité. Toutefois, cela ne fait pas 400 votans, et il y a près de 600 députés. Le ministère est-il consolidé ? Non ; il a eu une majorité de veille de vacances. Nous ne désirons pourtant pas sa chute, crainte de pire. M. Clemenceau était dans le vrai lorsqu’il a dit : « Vous vous plaignez que quelquefois M. Aynard, M. Ribot, M. Charles Benoist aient pour nous des mots aimables. Monsieur Jaurès, ils nous aiment contre vous. » Il est vrai que M. Clemenceau n’en aime quelquefois d’autres que contre M. Jaurès.


Nous ne dirons aujourd’hui qu’un mot sur la transformation qui vient de se produire dans le gouvernement anglais : elle était prévue