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mutuels en vue de pourvoir aux besoins de leur vieillesse, et l’État consent à ne pas en ignorer. C’est fort heureux : dans la voie où il était entré, il aurait fort bien pu pousser la pudeur jusque-là. Mais tout le monde cherchait, comme l’a dit M. Philippe Berger, « un biais » pour sortir d’embarras, et son amendement a offert ce biais. M. Berger l’a soutenu avec éloquence : il a eu la bonne fortune de rallier une majorité de 221 voix contre 56. Si quelque chose nous étonne, étant donné la disposition générale des esprits/c’est qu’il se soit trouvé 56 voix contre l’amendement. Mais, parmi ces voix, il y a celle de M. Combes, et cela explique tout. Ses fidèles ont suivi M. Combes dans son intransigeante opposition.

M. Berger est protestant : rendons justice à ses coreligionnaires qui, tous ou presque tous, ont dans cette circonstance combattu pour la cause de la liberté des vivans et du respect des morts. M. Richard Waddington s’était déjà fait leur interprète devant le Sénat : il avait protesté en leur nom contre une loi abusive et spoliatrice, et cela avec un désintéressement complet, puisque les protestans ont, pour leur compte, formé des associations cultuelles et que les biens de leur Église n’ont pas subi le sort des biens de l’Église, catholique. Nous en connaissons qui ont été au premier rang parmi ceux qui ont combattu la séparation de l’Église et de l’État, et surtout la manière dont elle s’est faite : on les a retrouvés au premier rang parmi ceux qui ont combattu la loi de dévolution et ont contribué à en faire disparaître les dispositions les plus iniques. Néanmoins, cette loi reste mauvaise, d’abord parce qu’elle appartient à tout un système qui est mauvais, ensuite parce que le Sénat lui a conservé un effet rétroactif. Pourquoi ? Il serait difficile de le dire. On comprenait que la loi eût ce caractère lorsqu’elle avait pour objet de faire tomber les procès en cours, peut-être même les jugemens ou les arrêts déjà rendus. Ce dessaisissement d’une nouvelle espèce avait, non pas sa justification, ni même son excuse, mais au moins son explication dans un intérêt réel et tangible. Mais aujourd’hui que l’amendement Berger est voté, la rétroactivité de la loi ne sert à rien, puisqu’il n’y aura plus de demandes en révocation ou en reprise pour cause de non-exécution des charges. Le Sénat a donc créé, sans motif, sans prétexte, sans avantage d’aucune sorte, un précédent extrêmement dangereux. Il est vrai que certains des amendemens qui enlevaient à la loi son effet rétroactif avaient été repoussés avant le vote de l’amendement Berger ; mais lorsque M. Théodore Girard est revenu à la charge, dans le langage le plus pressant, on pouvait déjà escompter comme