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bien loin d’avoir les lettres adressées par lui, secrètement et librement, à Mme Wesendonck. En tout cas, ce n’est qu’à sa femme qu’il raconte, heure par heure, tous les détails de sa vie ; et quand, après l’avoir entretenue de l’avancement de son drame lyrique, il lui décrit tout au long un abcès qu’il vient d’avoir, ou la consulte sur l’achat d’un manteau, ou la remercie des chemises et des bas qu’il a reçus d’elle, nous avons l’impression que des lettres comme celles-là, avec toute la part de dissimulation qui peut y être renfermée, n’en traduisent pas moins une affection sincère. Le poète ne peut plus s’accommoder d’avoir sa Minna près de lui : mais, en même temps, il regrette l’absence d’une confidente longtemps accoutumée à le regarder vivre et à veiller sur lui ; et, tout en la plaignant, il garde pour elle un étrange amour qui, bien vite refroidi dès qu’ils sont ensemble, ne tarde pas à se réchauffer, une fois de plus, dans l’éloignement.


Telle est, en somme, la conclusion qui ressort de la plupart des lettres formant la seconde moitié du recueil ; mais de nouveau, par instans, entre ces marques de compassion, de respect, et de fidèle amitié, une lettre nous apparaît dont la dureté imprévue et soudaine nous inquiète et nous déconcerte, projette brusquement une lueur de doute sur la sincérité des lettres précédentes comme des suivantes. Ces brusques éclats ne sont-ils que l’expression d’un moment d’humeur, tout de suite apaisé ; ou bien nous dévoilent-ils des sentimens qui, désormais, siégeaient à demeure dans l’âme du poète, sous ses fausses démonstrations de tendresse, et sans que lui-même, peut-être, eût clairement conscience de leur intensité ? Ou bien encore, peut-être, dans une des âmes les plus complexes qu’il y ait eu au monde, ces sentimens trouvaient-ils le moyen de coexister avec leurs contraires, et le mari de Minna en était-il venu à haïr la pauvre femme tout en continuant à l’aimer ? Rien de tout cela n’est impossible, ni, non plus, certain : mais combien il eût mieux valu que les éditeurs du recueil, quels qu’ils soient, héritiers de la mémoire de Wagner ou de celle de sa première femme, nous eussent dispensés de connaître, au moins, ces quelques lettres-là !


T. DE WYZEWA.