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lettre suivante est pour lui annoncer « sa décision de s’installer avec lui à Zurich. » A tout ce qu’il exige elle cède, après l’avoir simplement agacé par un inutile semblant de refus ou d’hésitation ; et son unique tort, ainsi que Wagner le lui laissera entendre cent fois, aura été de l’aimer avec une passion trop entière, sans savoir se résigner à ce que d’autres femmes la remplacent dans son cœur, ou même soient admises à le partager avec elle.

Mais ce tort était très grave, et ne pouvait manquer d’avoir pour elle des conséquences infiniment désastreuses. Car Richard Wagner, après le bouleversement produit dans sa vie, et. dans tout son être, par la catastrophe de 1848, s’était trouvé amené, par son âge à la fois et par les circonstances, à avoir, en quelque sorte, fatalement besoin de changer de femme, de même qu’il avait changé de patrie, et de profession, et d’idéal et de style artistiques. Involontairement, il aspirait à rencontrer une amie nouvelle, qui fût toute prête à le suivre, — sauf à s’imaginer qu’elle le conduisait, — dans les voies nouvelles où le poussait à présent son génie, aidé encore par les hasards de sa destinée. Et peut-être Minna, dont il continuait également à avoir besoin, peut-être serait-elle parvenue à conserver sa place auprès de lui si, s’étant rendu compte de ce changement, elle avait eu la force de tolérer qu’une autre femme pénétrât dans l’intimité de son mari, qui, d’ailleurs, — ainsi que le prouve l’épisode de Mme Wesendonck, — aurait vite fait de s’en fatiguer. Cette force, elle ne l’a pas eue : et toutes les souffrances des dernières années de sa vie, et toutes les angoisses de Wagner, ne sont sorties que de là. En vain, dans les nombreuses lettres qu’il lui écrit entre 1851 et 1858, lui prodigue-t-il les témoignages d’une affection que nous sentons encore très sincère : nous sentons, d’autre part, qu’il commence à l’aimer mieux de loin que de près, et que désormais sa curiosité, son ardeur sensuelle, ce désir de possession qui n’est, au reste, qu’une forme incomplète, passagère, et très superficielle de l’amour, que tout cela ne s’adresse plus à elle, et va sans doute maintenant à plusieurs femmes alternativement, suivant que Wagner est à Paris, à Londres, à Zurich, ou bien suivant les caprices divers de son humeur de poète, sans cesse devenue plus impressionnable et mobile, avec les années.


Le ménage en était à ce point lorsque, au mois de mai 1858, éclata la seconde catastrophe, préparée depuis longtemps déjà, et provoquée surtout par l’ardente jalousie de Minna Wagner. Celle-ci, ayant acquis la preuve certaine des relations sentimentales de son mari avec