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(c’est-à-dire dans un emploi servile, dans des tâches banales, etc.) — et tu as honte de ce qui est pour moi providentiellement bienvenu » — (c’est-à-dire de l’argent donné par des amis). Mais d’autres passages, dans des lettres voisines, nous permettent de supposer que la désapprobation morale de Minna, ici comme toujours, s’accompagnait d’un fort élément de jalousie féminine, plus ou moins motivée. Si le généreux ami bordelais n’avait pas eu une jeune et très jolie femme, Minna, sans doute, ne se serait pas aussi vivement offensée de la manière dont Wagner avait mis à profit sa générosité.

La pauvre femme était d’une jalousie extrême : voilà ce qui est, désormais, trop certain, et qui a le plus contribué à exaspérer son mari. Quant aux autres défauts dont on a coutume de l’accuser, je ne crois pas qu’ils aient eu rien de bien grave, — à commencer par ceux que lui a reprochés, dans sa lettre, son mari lui-même. Assurément elle aurait préféré que Wagner eût un gagne-pain régulier, et composât une musique un peu plus lucrative : mais le goût qu’elle conserve pour Menzi n’empêchera pas le poète, après leur séparation, de l’entretenir en détail des progrès de Tristan, et avec une certitude évidente de l’intéresser. Il n’est pas vrai non plus qu’elle ait manqué d’intelligence : jusqu’au bout, son mari lui a confié et lui confiera toutes ses pensées, avec une abondance et une précision qu’il s’est bien gardé d’employer, par exemple, dans ses lettres aux membres de sa famille, et qu’il aurait vite cessé d’employer vis-à-vis d’elle s’il l’avait sue incapable de les apprécier. Reste donc, au total, son désir de voir son mari en possession d’un emploi régulier ; mais si vraiment ce désir, assez naturel, a eu dans son cœur des racines profondes, combien nous devons admirer l’héroïque courage avec lequel, sa vie durant, elle a dispensé son mari de tenter aucun effort pour le satisfaire ! Car non seulement nous la retrouvons toujours auprès de Wagner, jusqu’au moment où celui-ci ne pourra plus supporter de vivre avec elle ; non seulement son mari, par la façon dont il lui parle, atteste qu’il est parfaitement assuré de sa soumission, et ne craint pas de perdre son amour en continuant à mener sa libre vie d’artiste : mais la lettre furieuse qu’on a lue plus haut se charge de nous apprendre à quel point les résistances de Minna sont courtes, et bientôt oubliées. Lorsqu’elle vient le voir dans sa cachette, elle lui signifie qu’elle va repartir, et est décidée à ne plus le revoir ; mais, quelque temps après, voici déjà qu’elle l’a rejoint à Iéna, où elle échange avec lui « un chaud et cordial adieu ! » Lui écrit-elle, ensuite, une lettre « qui le glace par son manque d’amour ? » La