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quotidien. Et cependant, de Bordeaux même, je t’ai encore écrit que je ne connaissais qu’un bonheur, qui était de vivre tranquillement avec toi à Zurich, et de pouvoir y créer des œuvres à mon goût.

Mais maintenant ta lettre a tout rompu, tout anéanti ! Irréconciliable, tu cherches l’honneur là où je dois presque reconnaître la honte, et tu as honte de ce qui est pour moi une bienvenue providentielle !…

Désormais, que peut être mon amour pour toi ? Il ne peut plus être que le désir de te récompenser de la jeunesse que tu as inutilement sacrifiée pour moi, des épreuves que tu as subies avec moi, — le désir de te rendre heureuse. Mais est-ce que je pourrais arriver à cela en continuant à vivre avec toi ? Non, non, c’est tout à fait impossible !


Dans sa lettre suivante, du 4 mai 1850, Wagner, de plus en plus décidé à se séparer de sa femme, lui déclare qu’il va partir pour un grand voyage en Grèce et en Orient ; mais déjà les dernières lignes de la lettre sont d’une voix plus douce : « Adieu donc, adieu, chère Minna ! adieu, femme durement éprouvée, à qui je ne puis, hélas ! accorder aucune compensation, et que je me trouve même forcé d’abandonner ! Adieu, et, si tu le peux, garde un bon souvenir de moi ! Tu recevras de mes nouvelles, et peut-être nous reverrons-nous encore !… Ne sois pas fâchée de ce que j’aie dû me séparer de toi ! Adieu, très chère, très bonne Minna ! adieu ! » Et puis, dès la page d’après, sans l’ombre d’une transition ni d’une explication, nous trouvons une nouvelle lettre, probablement postérieure d’un an à la précédente, et qui n’est plus qu’affection, sourires, douce intimité. « Ah ! chère et bonne femme, qui m’as encore écrit une lettre si merveilleusement belle ! Combien je déplore seulement d’avoir à y répondre par écrit, au lieu de pouvoir t’en remercier oralement dès ce soir ! » Il est aux eaux, dans les environs de Zurich ; il a quitté sa femme la veille, et attend avec impatience le lendemain, où elle lui a promis de venir le rejoindre. Mais nous n’en demeurons pas moins, nous, sous l’impression imprévue et inquiétante de la lettre de tout à l’heure. Ces subites accusations de Wagner, ces durs reproches, que signifient-ils bien au juste ? et se peut-il que pas une ombre n’en soit restée sur l’heureux ménage que nous voyons, à présent, échanger des caresses et des confidences ?


En tout cas, la cause immédiate de l’éclat du 17 avril 1850 se laisse facilement deviner. Minna a reproché à son mari d’avoir accepté un don d’argent, que lui ont offert ses nouveaux amis et admirateurs bordelais. Ainsi s’explique cette phrase de la lettre : « Tu cherches l’honneur là où je suis presque forcé de reconnaître la honte —