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Il y a dans tout ce morceau, un accent qui ne trompe pas, un accent de sincérité absolue et d’amoureuse confiance ; et ce même accent se retrouve dans toute la série des premières lettres de Wagner à Minna, jusqu’au moment où l’auteur de Tannhäuser, en 1848, accusé d’avoir pris part à l’insurrection, a été forcé de s’enfuir d’Allemagne. Les lettres de cette heureuse période sont, d’ailleurs, en très petit nombre, Wagner ne s’étant, jusqu’alors, presque jamais séparé de sa femme : toutes nous font voir un mélange charmant de tendresse expansive et de calme et complète familiarité. Non seulement le mari tient sa femme au courant des moindres faits de sa vie comme de sa pensée : nous sentons qu’il a besoin d’elle, et ne peut passer un seul jour sans la vouloir près de soi. Plus tard, depuis la séparation forcée, et fatalement prolongée, de 1848, le ton change un peu. Wagner continue à instruire sa femme de tout ce qui lui arrive, — c’est là un besoin qu’il gardera toujours : — mais nous ne sommes plus aussi certains que son cœur la désire, ni qu’il lui soit Impossible de vivre loin d’elle. Cependant ils se rejoignent, s’installent ensemble à Zurich ; et Wagner, lorsqu’il est obligé de quitter sa femme pour aller s’entendre avec des directeurs de théâtre ou pour diriger des concerts, lui envoie immanquablement, à peu près chaque jour, des lettres pleines d’expansion et de sollicitude, les lettres d’un parfait mari, désolé d’avoir eu à se séparer de sa femme.

Or voici que, le 17 mars 1850, il lui annonce brusquement qu’il n’est plus à Paris, où il était venu organiser des concerts, et que des amis l’ont décidé à passer quelques jours avec eux, dans leur maison de Bordeaux ! « Tu ne peux pas te figurer, lui dit-il, l’amabilité et le dévouement pour moi de cette famille ! Celle-ci consiste dans le jeune couple et la mère de la femme, qui est Anglaise, mais qui, de même que son mari, parle l’allemand aussi bien que nous. Et il y a en outre, à Bordeaux, une nombreuse colonie d’Allemands, tous riches, et qui tous ont pour moi la plus haute estime… Mais, pour te parler en toute franchise, le plaisir que j’éprouve ici ne m’empêche pas d’aspirer de tout mon cœur vers toi et vers notre maison ! Crois-moi bien, je ne connais pas d’autre bonheur que de pouvoir vivre avec toi, tranquille et satisfait, dans notre petit ménage ! » Et puis, exactement un mois après, voici l’effrayante lettre qu’il lui adresse, de Paris, où il s’est hâté de revenir pour préparer ses concerts :


CHERE MINNA !

Je t’appelle encore ainsi malgré la dernière lettre que j’ai reçue de toi !