Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doute, l’opposition de leurs tempéramens a rendue nécessaire, mais qui demeure, toutefois, l’unique passage que nous aimerions à pouvoir effacer d’une longue existence entièrement employée à nous pourvoir de vivante et bienfaisante beauté ; et voici que l’on nous contraint à connaître jusqu’aux moindres particularités de ce déplorable épisode, à suivre, de jour en jour, le grand poète dans le détail obligé de ses ruses et de ses mensonges, à rabaisser un peu la haute image que nous nous plaisions à concevoir de lui, — tout cela, simplement, parce qu’il a été grand, et sous prétexte que chaque ligne sortie de sa plume possède, en même temps qu’une valeur marchande, l’intérêt d’un document historique et psychologique !

En tête des deux volumes qui, naguère, nous offraient la série complète des Lettres de Wagner à Mme Wesendonck, se lisait une Observation préliminaire commençant par cet étrange aveu : « L’auteur des pages que nous publions aujourd’hui avait formellement exprimé le désir que ces pages fussent anéanties. » Le pauvre Wagner avait espéré que, après sa mort, nous ignorerions une aventure qui, au fond, n’avait rien eu que d’assez banal, et dont lui-même, du reste, n’avait point tardé à se fatiguer : non, l’héroïne de l’aventure a voulu que toutes les lettres de son ami d’un jour nous fussent livrées, jusqu’à celles où il s’ingénie à inventer des défaites pour empêcher son ex-amie de venir le rejoindre, et jusqu’à celle où nous apprenons que, par l’intermédiaire de sa seconde femme, il l’a priée de lui renvoyer toute la musique et tous les écrits que, jadis, il lui avait donnés ! Mais encore cette publication nous apparaît-elle excusable, et presque légitime, en regard de celle que l’on s’est avisé, maintenant, de lui juxtaposer : deux gros volumes tout remplis des lettres écrites, chaque jour, par Richard Wagner à sa première femme, pour tâcher, de mille façons diverses, à lui faire oublier qu’il ne peut plus l’aimer, ni même supporter sa vue, et qu’elle aura dorénavant à souffrir et à mourir loin de lui. Aussi bien, les deux volumes nous sont-ils présentés sous une forme singulière, et dont nous serions tentés d’attribuer l’excessive réticence à un certain sentiment de honte : car non seulement le titre ne nous dit point d’où nous viennent les lettre de Wagner, et par qui elles ont été cédées au libraire qui nous les transmet : les volumes ne contiennent, en outre, pas un mot d’introduction, pas une note, absolument aucune trace des mains entre lesquelles ces lettres ont passé avant d’arriver jusqu’à nous. Si bien que, de cette navrante histoire dont, auparavant, nous ne savions rien, — car les biographes de Wagner ont expressément