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que Jeanne fut un instrument. D’elle-même et de son initiative rien n’est parti. A quelque moment que ce soit, on s’est servi d’elle : ni le but, ni les moyens ne lui étaient connus. Elle allait, extatique et perdue dans son rêve, sans savoir où. Ceux qui l’ont dirigée n’ont pas été toujours les mêmes ; mais elle a toujours été dirigée. Cela depuis l’origine. Elle avait des visions : ce fut le point de départ, le fait initial ; aussitôt il se trouva un directeur pour s’en emparer et l’utiliser en vue de ses desseins. Ce directeur fut probablement un religieux… Cette hypothèse paraît à M. France la plus vraisemblable et cela suffit pour qu’il l’adopte, sans toutefois qu’il lui soit possible ni de la préciser, ni de l’appuyer sur aucun texte, ni de l’étayer d’aucun commencement de preuve. « On est porté à croire qu’elle avait subi certaines influences : c’est le cas de toutes les visionnaires : un directeur qu’on ne voit pas les mène. Il en dut être ainsi de Jeanne… Elle dut fréquenter des prêtres fidèles à la cause du dauphin Charles… « Qui est d’ailleurs cet « homme d’Église des bords de la Meuse » auquel le royaume de France dut son angélique défenseur ? Qui est ce religieux dont il faut nous résigner à ne jamais connaître le nom ? Quelles sont les « personnes pieuses » qui conduisent Jeanne chez le duc de Lorraine, après lui avoir dûment fait la leçon et qui, lors de la seconde visite à Vaucouleurs, prennent soin de rassurer la famille de la petite sainte ? Ni M. France, ni âme qui vive n’en a jamais rien su. — L’histoire n’a pas à tenir compte de si vagues allégations.

C’est la fantaisie de l’auteur que la mission de Jeanne ait été inventée par des religieux amis du royaume ou plutôt amis de la paix. De même il lui plaira que la visionnaire ait été ensuite employée par les gens du Roi. Ceux-ci auraient aussitôt compris quel parti on pouvait tirer d’un tel auxiliaire habilement mis en œuvre. Donc l’assemblée des docteurs de Poitiers s’empresse de décider que cette Pucelle est bien vraiment envoyée de Dieu et non du diable. On l’équipe, on lui donne une escorte, on la mentionne en belle place dans les bulletins de victoire. On n’a garde de la contrecarrer dans ses desseins : on préfère lui suggérer celui qui peut le mieux servir la cause du Roi et celle de Mgr Regnault de Chartres, archevêque de Reims : c’est à savoir qu’il faut mener le Roi à Reims… Cette justification de Charles VII et de son entourage est originale, à coup sûr, et elle serait intéressante si elle n’était purement gratuite. Elle n’a convaincu personne. L’un des érudits qui connaissent le mieux la question, M. Germain Lefèvre-Pontalis, le savant commentateur de