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l’oppression et que chasser l’envahisseur n’a jamais été leur œuvre impersonnelle et anonyme. Il faut que l’âme de la révolte prenne corps dans un individu, sous peine de s’évanouir impuissante et de se dissoudre dans les airs. Il faut que quelqu’un appelle le peuple à la lutte et le guide, et lui dénonce la faiblesse de l’adversaire. Ce fut très exactement la part de Jeanne d’Arc. La délivrance d’Orléans avait été le signe auquel tout le pays reconnut que la mission de Jeanne n’était pas une imposture. Ce premier. succès avait changé la face des choses. Mais il fallait prendre sur les Anglais un avantage décisif : c’est ici que la marche sur Reims s’imposait. Pour le contester, il faudrait ne se faire aucune espèce d’idée de la valeur et de la signification qui s’attachaient au sacre de nos Rois. Pour les gens du XVe siècle la royauté n’existe que grâce à son caractère mystique. Charles n’est encore que le dauphin ; la France est comme lui hésitante sur la légitimité de son droit. Il ne sera le Roi qu’en recevant l’onction du Seigneur. La cérémonie de Reims devait avoir et elle eut en effet un retentissement énorme dans tout le royaume comme dans toute la chrétienté. C’est ce que Jeanne avait aperçu, sans aucun doute possible, dans une clarté éblouissante.

Au surplus, M. France en convient à l’occasion. Il lui arrive d’exprimer sur ce point particulier, au cours de son ouvrage, une opinion à peu près exactement contraire à celle qu’il annonce dans sa Préface. « Peut-être que le voyage de Reims assura au parti français, à ces Armagnacs décriés pour leurs cruautés et leurs félonies, au petit roi de Bourges compromis dans un guet-apens infâme, des avantages plus grands, plus précieux que la conquête du comté du Maine et du duché de Normandie, et que l’assaut donné victorieusement à la première ville du royaume. En reprenant sans effusion de sang ses villes de Champagne et de France, le roi Charles se fit connaître à son avantage… En terminant cette campagne de négociations honnêtes et heureuses par les cérémonies augustes du sacre, il apparaissait tout à coup légitime et très saint roi de France. » Ces demi-contradictions abondent dans le livre de M. France ; mais elles ne doivent pas nous surprendre. Elles ne sont pas, chez lui, un effet de l’indécision de la pensée : elles font partie d’un système. M. France est de ceux qui estiment que la vérité jaillit du heurt des contraires ou qu’elle réside dans leur harmonie. Pour trouver sa véritable pensée, il faut la dégager d’affirmations parfois peu concordantes.

Débarrassée de ses voiles, atténuations et repentirs, cette pensée apparaît d’ailleurs très précise. Elle tient dans quelques mots : c’est