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études historiques, à la façon dont on les conduit aujourd’hui, impliquent un système de recherches et l’emploi de méthodes auxquelles il faut être préparé par une sévère discipline et un apprentissage de toujours. Mais combien il est intéressant de voir un des esprits les plus avisés de ce temps s’attaquer à un problème unique dans notre histoire ! M. Anatole France a eu soin de remonter aux sources, il a mis à s’y débrouiller une habileté que constatent les érudits. S’il a erré sur quelques points de détail, brouillé quelquefois les jours et les heures, ou pris avec la géographie quelques libertés, ce sont de légères inadvertances et qu’il n’y a même pas lieu de relever. De toute évidence, il n’a négligé aucun des moyens d’une information consciencieuse. C’est un hommage qu’on ne saurait trop pleinement lui rendre. Il a visité les lieux aussi bien qu’il a compulsé les documens ; il s’est efforcé de restituer la figure et de raviver les couleurs du passé ; surtout il a apporté toute la sincérité dont il était capable à réaliser en lui les conditions de la découverte historique. « J’ai écrit cette histoire avec un zèle ardent et tranquille ; j’ai cherché la vérité sans mollesse, je l’ai rencontrée sans peur. Alors même qu’elle prenait un visage étrange, je ne me suis pas détourné d’elle. » A peine avions-nous besoin d’une telle déclaration, d’autant que les formules de ce genre sont, dans les travaux de critique et d’histoire, comme des clauses de style. C’est bien comme une étude que nous nous proposons d’envisager cette Vie de Jeanne d’Arc et non pas seulement comme une brillante fantaisie. Nous sommes d’avis qu’on ne saurait la lire de trop près, avec trop d’attention et de scrupule : tout y est instructif, et les mérites éminens qui y éclatent à chaque page et jusqu’aux insuffisances qui portent avec elles leur leçon.

M. Anatole France est avant tout un artiste ; il est parmi nos écrivains d’aujourd’hui celui à qui convient le mieux ce titre ; et nous avons toujours été d’avis qu’écrire l’histoire est, pour une bonne partie, un art. Il faut donner au lecteur l’impression de la vie : nous voulons voir d’abord s’évoquer devant nous le théâtre sur lequel monteront les personnages. Encore y a-t-il une mesure à garder : nous ne sommes plus aux temps romantiques et nous sommes bien revenus des excès du pittoresque et des débauches de la couleur locale. C’est par la sobriété que valent les descriptions de M. France. Quelques traits lui suffisent pour évoquer tout un paysage. C’est la vallée de la Meuse austère et triste, avec ces nuages opaques et ces sombres montagnes mouvantes que ramène l’hiver. « Le long des sentiers du haut pays, le passant matinal a cru, comme les mystiques dans leurs ravissemens, marcher