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REVUE LITTÉRAIRE

LA JEANNE D’ARC D’ANATOLE FRANCE

Poètes, romanciers, dramaturges se sont maintes fois essayés à tirer de la vie de Jeanne d’Arc un sujet de poème, de roman, de drame. Ils y ont tous échoué et quelques-uns d’une façon lamentable ou choquante. C’est qu’une telle matière ne souffre pas d’ornemens : tout ce qu’on y ajoute pour l’embellir la dénature et la gâte. Est-ce à dire qu’elle appartienne aux seuls historiens et que le littérateur n’ait pas de droits sur elle ? Non certes. Mais celui-ci devra suivre l’histoire de tout près et réduire son ambition à n’être que le plus docile des biographes. Il trouvera dans ce rôle un assez large emploi de sa littérature, puisqu’il lui faudra peindre les choses et les gens, analyser les âmes, évoquer les faits, nous suggérer la vision du réel ; or, pour égaler ici la réalité, ce n’est pas trop de tous les moyens de la littérature. C’est ce que M. Anatole France a parfaitement compris. Attiré par la figure de Jeanne, il n’a pas songé un seul instant à lui donner place dans quelque fiction romanesque. Il n’avait qu’un parti à prendre : écrire une Vie de Jeanne d’Arc[1] aussi exacte qu’il lui était possible. Sans se dissimuler à quel point la tâche était rude et délicate, il s’y est mis avec ardeur. L’ouvrage qu’il nous donne aujourd’hui représente des années de patient labeur. C’est aux yeux de l’auteur son œuvre capitale. De fait, il y a longtemps qu’un livre n’avait provoqué un tel mouvement de curiosité.

Certes nous n’attendions de M. Anatole France ni la découverte de documens nouveaux, ni l’éclaircissement de points obscurs : les

  1. Anatole France, La vie de Jeanne d’Arc, 2 vol. in-8 (Calmann Lévy).