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tout est parti pour Londres, — et les Grecs d’aujourd’hui s’en plaignent assez amèrement. (Le rapt de la Vénus de Milo excite chez eux les mêmes colères patriotiques que l’enlèvement d’Hélène.) Traversons donc rapidement la salle des moulages qui remplacent les frontons et les frises dérobés par lord Elgin, et réservons toutes nos admirations pour les trois bas-reliefs des Victoires qui rehaussaient autrefois la balustrade de l’Athéna-Niké.

Elles ont été bien souvent décrites et reproduites, ces Victoires ! Et pourtant, on a beau les connaître, on croit en avoir la soudaine révélation. On s’assied sur la banquette fripée qui est en face, et on les contemple avidement, avec un frémissement de jouissance, à l’idée qu’on rassasie enfin ses yeux de leur présence réelle.

D’abord, elles paraissent enveloppées de gazes blondes transparentes, puis, sous l’insistance du regard, ces draperies, diaphanes comme une onde, se teignent de nuances hésitantes. La Victoire à la couronne est rose, celle à la sandale est mauve, celle au taureau est d’un pourpre tournant au violet : ce sont les pâles colorations qui naissent sur l’épiderme d’une chair rappelée à la vie. Faut-il y voir des traces de polychromie ancienne, ou la patine contractée sous la terre ? On sait seulement que, dans la peinture des bas-reliefs et des statues, les Grecs usaient d’une liberté charmante qui nous scandaliserait. Au Musée national, ne trouve-t-on pas une déesse d’Eleusis qui a des cheveux roses ?…

Les déesses que voici justifient les plus hyperboliques éloges. Si elles n’ont rien de l’austère et un peu dure perfection phidienne, elles réalisent et dépassent tout ce que nous comprenons sous ce mot : la grâce. Ainsi parées par les siècles, embellies par leurs mutilations mêmes, ces souples jeunes filles, aux lignes frêles et fuyantes, ondulent, sur leurs tablettes de pierre, comme la fleur exquise d’une matière subtilisée qui va se résoudre en formes aériennes et impondérables…

Après un long séjour à Athènes, il est naturel qu’on s’efforce de mettre un peu d’ordre dans les souvenirs et dans les idées parfois contradictoires qu’on en rapporte. J’y songeais, le