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Nous avons franchi les Propylées. Nous voici dans l’enceinte de la citadelle.

La lune épanouie bleuit la couche des marbres amoncelés qui s’enfle et s’abaisse suivant les inégalités du terrain. C’est toujours le champ de neige, étendu comme un tapis jusqu’au stylobate du Parthénon. Blancheur spectrale, l’opisthodome diffuse, dans l’air, avec une douce lueur mystérieuse, l’influence calmante et purificatrice des lieux qu’ont habités les prières. Mais ce n’est pas plus admirable qu’en plein jour, à l’heure qui précède le crépuscule.

Cependant, la voix du pappas retentit, pédagogique et autoritaire, les provinciaux me poursuivent. Je me réfugie sur le banc de jardin qui, du côté de la mer, s’adosse à la cella du Temple. Impossible de s’y recueillir, inutile d’essayer !…

Des automobiles s’essoufflent sur la route de Phalère, brillante comme un long ruban de cristal. Je distingue les lentilles rouges des fanaux et je perçois le halètement rythmique des véhicules. Au loin serpentent les cordons de gaz des casinos. Vers le vieux port de Munychie, on tire un feu d’artifice. Des trains sifflent sur la ligne du Pirée, s’entre-croisent dans le noir, comme des étoiles filantes. Des faisceaux lumineux, projetés par les cinématographes du Zappion et du Syntagma, effleurent, en tournant, les fûts des colonnes et les inondent de brusques phosphorescences. En bas, les orchestres des cafés-concerts se démènent autour du Théseion… Comment les pâles mirages du passé, l’ombre et le silence nocturnes pourraient-ils se défendre contre tous ces feux et toutes ces rumeurs de vie ?…

Il serait ridicule d’en gémir. Vient-on si loin pour éprouver les mêmes émotions que devant un moulage ou une photographie, et faut-il souhaiter, autour de cette colline, la solitude morne, l’air glacial d’un musée ou d’une bibliothèque ? Les invocations sur l’Acropole ne se calligraphient que dans un bon fauteuil, parmi les livres d’un cabinet de travail. Mais, en ce moment, sur ce mauvais banc de bois, on ne peut que s’amuser de l’instant qui passe. Le spectacle, si profane qu’il paraisse, ne contredit que superficiellement les sentimens de piété suggérés pas ces ruines. L’agitation de plaisir ou de négoce qui remplit cette banlieue naguère déserte, cette renaissance d’une race tombée dans la barbarie, n’est-ce pas le plus éloquent hommage qui puisse se rendre au Génie tutélaire qu’on adora sur ces