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qui l’entourait, la rendait sans doute plus massive, — et les frontons superposés aux délicates frises de l’architrave lui donnaient un profil pareil à celui de tous les temples grecs connus. Or, ce que je goûte en cette chapelle, c’est qu’elle est singulière, qu’elle ne rappelle rien. L’assiette même en est étrange. Elle est placée obliquement sur la plate-forme qui lui sert de piédestal. Son stylobate ne tient pas au sol. On dirait qu’on l’a apportée là toute construite et qu’on l’a mise sur ses pieds, sans nul souci de la symétrie. Ainsi se complète l’image qu’on évêque immédiatement devant ce gracieux édicule de la Victoire : celle d’un oiseau arrêté, un instant, à la crête d’une roche, et qui va prendre son vol.

En réalité, il n’y a pas, dans tout l’Acropole, d’endroit plus aérien, plus ventilé, mieux fait pour le repos, que cette étroite terrasse dallée de marbre poli. Sans doute, au Parthénon, c’est beaucoup plus grandiose. Mais un sublime de cette envergure ne se supporte que quelques minutes. Les proportions énormes des blocs et tout cet appareil fastueux vous humilient : on comprend trop qu’on est un intrus, un passant misérable ! À côté de la Victoire, qui n’a pas beaucoup plus que la taille humaine, on se sent davantage à son aise. J’y suis resté de longues heures, assis sur les degrés disjoints de la cella, au bord de la corniche sans garde-fou qui couronne le bastion. La gargoulette du gardien rafraîchissait, à côté de moi, sous les colonnes. De temps en temps, je buvais quelques gorgées d’eau, et, le regard errant sur le vaste paysage, j’offrais mon front en sueur au fort Zéphyr qui venait de traverser la mer et les îles aux noms immortels.

Pour une première visite, on n’a pas le temps de prolonger cette station à la Victoire. On se hâte de revenir vers les Propylées, on veut tout voir !…

Lorsque j’arrivai au seuil de la seconde enceinte, le soleil était encore très haut, l’air brûlait. Tout à coup, ce fut une stupeur : un cercle de neige s’étendait devant moi, — et cette neige chimérique recouvrait tout le sol bosselé de la colline, nappe de givre éblouissant, immaculé et bleuâtre comme celui des hautes montagnes. À cause de la réverbération intense, on