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Combien peu y consentent ! Chateaubriand lui-même, — à une époque où il n’y avait ni agences ni chemins de fer, — s’est borné à contempler la Grèce du haut de son cheval, entre Modon et le cap Sunium. Il a passé en tout quatre jours à Athènes, et il n’est monté qu’une seule fois à l’Acropole. Les admirables pages qu’il a écrites sur la plaine de Sparte et sur les frises du Parthénon ne nous laissent qu’un regret : c’est qu’il ait été si pressé !…

Que ne peut-on voyager encore, comme on faisait, voici dix-sept siècles, au temps du bon Apulée, — cet Africain de Madaure qui, d’un bout à l’autre de la Méditerranée, promena sa fantaisie de rhéteur et de dilettante amoureux d’art et de beau langage, son zèle de dévot curieux de toutes les religions ? Un Carthaginois ou un Romain de ce temps-là possédait, sans nul doute, une idée plus exacte et plus vivante de l’Orient qu’un Français d’aujourd’hui. Les voyages par mer étaient bien plus fréquens, à peu près, comme de nos jours encore, dans les Cyclades et dans l’Archipel grec. L’Empire étant partout, la distance ne comptait plus. On séjournait longuement dans les grandes villes, Athènes, Alexandrie, Éphèse, Antioche, — où l’Occidental retrouvait, avec le droit du préteur et la majesté du nom romain, une culture semblable à celle de sa patrie. On nouait, là-bas, des amitiés solides. L’hospitalité, scrupuleuse comme un devoir religieux, vous introduisait au cœur même du foyer domestique. On ne se contentait pas de flâner dans les théâtres, dans les bains, sur les agoras, on participait à la vie de ses hôtes, on devenait presque leur concitoyen.

Après un an, deux ans, on s’en allait plus loin. Et c’étaient les courses à cheval ou à pied, sous la pluie ou le soleil, par les chemins peu sûrs, — les auberges toujours infestées de vermine, mais où l’on soupait avec de joyeux marchands fertiles en histoires extraordinaires, — les attaques de brigands, les aventures d’amour, les philtres et les incantations des sorcières. Puis les leçons des rhéteurs, les spectacles olympiques, les jeux dans les stades, les liturgies dans les sanctuaires, — les étapes de l’initiation. On était chez soi dans tous les temples, on pliait le genou devant tous les dieux. Et les vérités transmises par la bouche des prêtres vous rendaient le mystère presque tangible et rattachaient notre pensée d’un jour à la tradition la plus auguste et la plus lointaine…