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mariée, et qui suent le gros luxe des parvenus. Une intolérable odeur de jasmin et de tubéreuses sature l’atmosphère étouffante…

A l’écart, sous leurs tarbouchs écarlates, les jeunes Musulmans toisent, avec des mines dédaigneuses, tous ces rayas. Anciens élèves des Jésuites, ils plaisantent en français, eux aussi, ils dissertent sur l’Acropole et sur le Parthénon, car ils s’en vont, là-bas, saluer la patrie classique qu’on leur enseigna au collège.

Les dames grecques bavardent, s’épanouissent d’avance, à l’idée de parader sur les plages ou sur les terrasses des grands hôtels. Les hommes vantent les chanteuses napolitaines des cafés-concerts et des théâtres en plein vent. Il y a bien, dans le nombre, quelques valétudinaires qui s’en iront à Loutraki, sur le golfe de Corinthe, pour soigner leurs rhumatismes, ou jusqu’aux bains de Sylla, à l’autre bout de l’Eubée, pour leurs herpès. Mais la plupart doivent s’installer à Képhissia, qui est le Vichy d’Athènes, ou à Phalère qui en est le Trouville.

Au sortir de la fournaise égyptienne, ces bourgades les fascinent comme des lieux de délices, — et nous y courons, — tous, tant que nous sommés, — avec l’espérance paradoxale d’y trouver un peu d’air et d’ombrage.


Certes, il n’était que temps de fuir le Delta, enténébré par les souffles noirs du Kamsin, empoisonné de miasmes et de moustiques. Je l’éprouve cruellement sur le pont, où j’ai suivi les dîneurs avides de se rafraîchir au vent du large. L’Egypte encore prochaine nous envoie toujours la respiration torride de ses sables. La mer fume comme un vaste hammam, des brumes tièdes s’y déroulent. Une humidité continuelle, insupportable, se dépose sur tous les objets, transperce les vêtemens et vous liquéfie les membres.

Et, cependant, je me dis qu’il ne faut pas me plaindre. Assis sur un banc mouillé, tout en essuyant la sueur qui m’inonde, je remercie le destin propice de me faire voir la Grèce dans cette saison brûlante. J’aurai acheté par trois mois d’enfer, sous le soleil égyptien, l’avantage de la mieux goûter et peut-être de la mieux comprendre.

Je rêve à tout cela, dans le tiède brouillard nocturne…

Oui, avant mon pèlerinage en terre païenne, j’aurai subi