Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/883

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE TRIOMPHE DE PHRYNÉ


Celui qui poursuivit la Beauté souveraine,
Praxitèle, a taillé dans un marbre très blanc
La forme de Vénus-Astarté déroulant
Ses longs cheveux bouclés au doigt d’une sirène.

Le maître, pour modèle, a pris le corps troublant
De Phryné qui sourit, immobile, sereine…
Et toujours le ciseau que son génie entraîne
Dans le marbre sans tache avance, sûr et lent.

Et voici cependant que la Vénus s’achève.
Praxitèle, chassant la fatigue et le rêve,
Contemple tour à tour et son œuvre et Phryné ;

Mais sur la Femme enfin son regard obstiné
S’arrête, — ayant jugé l’Image décevante,
Et qu’il n’est de Beauté que la Beauté vivante !


LA CAMPAGNE ROMAINE


(Rome, avril 1907)


La « campagna » s’étend, muette, autour de Rome
Comme une mante ouverte aux plis mystérieux
Et le soleil d’avril se lève, glorieux,
Sur l’antique cité — vaste et lointain fantôme…

C’est l’heure matinale où tout, à l’horizon,
Se détache moins net sous des gazes de brume,
Où s’en vont par troupeaux, fumans et blancs d’écume,
Les buffles du pays à la rude toison ;

Où, du lac de Nemi, l’onde calme s’irise,
Telle lorsque Diane y mirait son front pur,
Et c’est l’heure où descend des forêts sur Tibur
Le souffle caressant et léger de la brise.