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éducation proprement dite commence. Enseignez-lui d’abord les trois « grâces principales de l’âme : le respect, par les leçons de l’histoire, en insistant sur les plus nobles exemples d’action et de passion humaines, en lui faisant comprendre la petitesse de son propre savoir et de ses propres forces, » — la compassion, en lui montrant avec détail autour d’elle ces réalités de la souffrance qu’une jeune vie radieuse a tant de mal à concevoir, — « la véracité, gardienne et gage des deux premières vertus, en lui présentant le mensonge comme le principe du déshonneur, » en la disciplinant à l’observation et à l’expression scrupuleusement exactes. Il s’agit de la modeler dans le sens harmonique et utile à la société où elle a sa place, suivant l’espèce et le degré de ses facultés, et puis de lui apprendre à travailler.


C’est une question de savoir jusqu’à quel âge on laissera des garçons et des filles de belle race courir en liberté comme des poulains sur la prairie, avant de les soumettre au mors et à la bride. Mais assurément, plus tôt on les attellera à la tâche dont leur nature est capable, et mieux cela vaudra. L’éducation morale est achevée quand la créature sait faire son travail avec joie et complètement[1].


Avec joie, c’est-à-dire d’un élan total et spontané de son être qui trouve là, s’il est bien dressé, si d’autre part la tâche est proportionnée à ses forces, l’activité quotidienne nécessaire à son équilibre et à son bonheur. Avec joie, et pourtant avec peine, l’homme étant né pour la peine et pour la joie qui s’unissent dans le travail et font sa noblesse en même temps qu’elles en reçoivent leur dignité. Car « le travail sans joie est vil, comme aussi le travail sans peine, et la peine sans le travail est dégradante comme aussi la joie sans le travail[2]. »

Or, pour la plupart des hommes, il n’est de peine et de joie à la fois, il n’est de noblesse que dans l’effort double et simultané du corps et de l’esprit : le labeur manuel accompagné de quelque pensée ou invention où s’exprime dans ce qu’elle a d’unique, tendances et rythmes individuels, toute la personne. Certes, il est d’inévitables travaux qui ne relèvent pas directement de l’esprit, ceux de la terre. Non seulement les hommes ne peuvent

  1. Fors Clavigera, 67.
  2. Time and Tide, V, § 21.