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l’ensemble, le choix systématique entre des tendances de développement et d’activité. En un mot, c’est le caractère considéré d’abord au point de vue vital, puis au point de vue esthétique. Parce qu’une Venise primitive entre toutes les cités fut marquée de caractère, Ruskin l’a jugée noble et belle entre toutes, noble par sa vertu et belle par son style. Que le caractère soit précis, complet, entièrement déterminé, véritablement un, que toutes les énergies de la créature ou du groupe convergent pour le produire, que tous ses aspects et ses actes concourent à le manifester, voilà, comme le savent les psychologues de la volonté, la plus difficile, la plus rare, la suprême opération de la vie, celle qui n’aboutit tout à fait dans l’humanité que chez les héros et les peuples héroïques, celle que l’art s’efforce de répéter avec plus de rigueur, en surpassant les réussites ordinaires de la vie.


Par quelles disciplines la vie humaine trouvera-t-elle son caractère ? D’abord par les plus générales et les plus nécessaires de toutes, les disciplines absolues du devoir. Ces éternels impératifs, ces tables de la Loi, Ruskin, après Carlyle, en est spécialement le gardien, le prophète irrité dans la seconde moitié du XIXe siècle en Angleterre. De ses livres d’esthétique pas une page qui ne les proclame ou ne les commente. C’est que le devoir est un principe de forme. A l’avance il dessine dans l’âme les grands tracés de ses gestes et lui interdit les autres ; à l’avance il limite, il détermine, il façonne. Dire que sur cette âme son autorité s’est établie, c’est dire qu’en elle certaines idées et tendances se développent à l’exclusion des autres et se coordonnent à demeure, qu’en elle des synthèses de volonté, sentiment et certitude sont achevées, fortes contre les paniques de l’émotion qui, brusquement, désorganise, résistantes aux lentes influences qui démoralisent et déforment.

Mais bien plus puissantes seront les synthèses, bien plus promptes et certaines les réactions aux attaques du dehors, des forces qu’elles assemblent, si les impératifs s’associent invinciblement à cet autre système tout fait de croyances et d’images qu’on appelle une religion, et qui les représente à l’imagination en fortifiant leurs automatismes du sien. Une morale, une religion sont des partis pris invétérés ; la première est un pli de la volonté, la seconde un pli de l’esprit, l’un et l’autre plus tenaces quand ils s’appuient l’un à l’autre. Quand ils sont tout à fait