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Le 8 juin 1833, Mme la duchesse de Berry s’embarqua, abord de la frégate l’Agathe, avec sa fille, le prince et la princesse Théodore de Bauffremont et le comte de Mesnard.

A son instante prière, le général Bugeaud consentit à l’accompagner ; il manda à Paris ne pouvoir refuser cette marque d’amitié à toute l’affection filiale qu’elle lui montrait. Il avait la bonhomie d’y croire ; son erreur ne fut pas de longue durée.

Dès que les côtes eurent suffisamment disparu pour ne plus laisser chance de retour, la princesse changea de procédés. Et, parvenue en rade de Palerme, elle ne daigna pas prendre congé de lui sur le vaisseau, ni l’inviter à la venir voir à terre.

Bugeaud avait innocemment pris au positif les protestations de Marie-Caroline de le considérer comme un père. Il fut outré, et courroucé surtout du maussade voyage entrepris par pur zèle à sa suite. Il écrivit ici des lamentations sentimentales sur l’ingratitude de Mme la duchesse de Berry qui ne laissèrent pas d’être fort divertissantes.

Il fallait un grand fond d’ignorance des princes, de la Cour et du monde en général pour croire sincères les cajoleries dont on le comblait à Blaye. Et, il faut en convenir, Mme la duchesse de Berry n’avait pas de motif pour aimer à s’entourer des témoins du triste séjour qu’elle y avait fait.

Sa gaîté, au reste, ne se démentit pas un instant pendant tout le voyage. Son unique préoccupation était la crainte de manquer à Palerme les fêtes de Sainte-Rosalie ; elle y avait assisté dans son enfance et en conservait un très vif souvenir.

La faveur de la petite Rosalie allait toujours en décroissant ; mais elle fut entièrement mise de côté lorsque le père qu’on lui avait inventé et que Mme la duchesse de Berry ne s’attendait pas à trouver en Sicile, se présenta à bord de l’Agathe.

Ce pauvre petit enfant, repoussé de tout le monde, est mort bientôt après à Livourne, chez un agent d’affaires où on l’avait déposé comme un paquet également incommode et compromettant.

Je ne sais si le nom du véritable père demeurera un mystère pour l’histoire, quant à moi je l’ignore. Faut-il en conclure, ainsi que M. de Chateaubriand me répondait un jour où je l’interrogeais à ce sujet : « Comment voulez-vous qu’on le dise, elle-même ne le sait pas ! »