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publiquement à sa patrie. Il avait beau se draper à l’effet dans le manteau d’un exil volontaire, on le remarquait peu ; les Genevois trouvent qu’on doit se tenir très heureux d’être à Genève, et ne compatissaient point à des peines qu’ils ne comprenaient pas.

Dans l’embarras de ce dilemme, M. de Chateaubriand accueillit comme l’étoile du salut l’arrestation faite à Nantes. De nouveaux devoirs, en lui imposant une nouvelle conduite, lui évitaient le petit ridicule d’une palinodie trop rapide.

Oubliant ses griefs contre la princesse, il se jeta dans une voiture de poste et accourut à Paris pour lui porter secours. Chemin faisant, il médita le texte d’une brochure, qui parut incontinent après.

Un billet de Mme Récamier m’annonça son retour, et le désir qu’il avait de me voir chez elle. J’y courus. Je les trouvai en tête à tête ; il lui lisait le manuscrit de la prochaine publication, originairement destinée à être imprimée à Lugano, mais qu’il avait arrangée pour la situation actuelle. Il continua à ma prière la lecture commencée.

Après un hymne très éloquent aux vertus maternelles de l’intrépide Marie-Caroline, lu avec émotion, il arriva à quelques phrases, admirablement bien écrites, sur Madame la Dauphine ; sa voix s’entrecoupa et son visage s’inonda de larmes.

J’avais encore dans l’oreille les expressions de mangeuse de reliques d’Edimbourg et de danseuse de corde d’Italie, que si récemment je lui avais entendu appliquer à ces deux princesses, et je fus étrangement frappée de ce spectacle.

Cependant M. de Chateaubriand était sincère en ce moment aussi bien que dans l’autre ; mais il possède cette mobilité d’impression dont il est convenu en ce siècle que se fabrique le génie. Éminemment artiste, il s’enflammait de son œuvre ; et c’était à l’agencement de ses propres paroles qu’il offrait l’hommage de ses pleurs.

Ce n’est point comme un blâme que je cite ce contraste, mais parce que j’en ai conservé une vive impression ; et que les hommes, de la distinction incontestable de M. de Chateaubriand, méritent d’être observés avec plus d’attention que le vulgaire.

Il avait réclamé ma visite pour me charger de demander son admission au château de Blaye. En qualité de conseil de Mm" la duchesse de Berry, il voulait conférer avec l’accusée. Cela était de droit, selon lui, ainsi que la libre correspondance avec les