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incroyable leurs droits, leurs négociations, leurs apports matériels ou immatériels ; des commissions déraisonnables avaient été payées aux agens de toute nature ayant concouru à l’organisation. Il y a des exemples de sociétés où, sur 50 000 actions, il n’y en avait eu que 10 000 versées en espèces ; les 40 000 autres, — sans parler de 50 000 actions de jouissance, — étaient échues aux metteurs en œuvre et aux intermédiaires. Dans un autre cas, sur 85 000 actions, il n’en avait été libéré que 15 000 ; le reste étant attribué aux fondateurs, qui recevaient en outre quelques millions en argent comptant et en obligations. Parfois des sommes considérables ont été payées pour la cession de conventions verbales, passées pour exploiter le tréfonds de certaines terres. Or ces droits n’ont jamais pu être exercés parce que les propriétaires ou fermiers qui les avaient vendues ne les possédaient pas eux-mêmes.

Dans le Sud de la Russie, certaines affaires s’étaient organisées sur le terrain de la spéculation pure, sans que l’existence d’aucune matière première légitimât leur création, mais uniquement le désir d’un groupe financier d’exploiter la hausse et l’emballement du public. Lorsqu’on avait fait la part de tous les concours parasites, le produit de grosses émissions se trouvait avoir fondu avec une rapidité stupéfiante et l’entreprise se voyait, dès sa naissance, sans fonds de roulement et grevée de dettes.

Il y eut donc pas mal d’irrégularités dans le lancement des industries nouvelles ; il n’y eut pas moins de légèreté dans la construction et l’exploitation ; notre vieux proverbe commercial du XVIIIe siècle disait : « Qui fait ses affaires par commission va à l’hôpital en personne. » Ce qui est vrai surtout avec des « commissionnaires » idéalistes et poètes comme les ingénieurs russes. Ce n’est pas à eux que l’on reprochera jamais d’avoir les vues mesquines et terre à terre des bourgeois français. Dans l’ordre des travaux mathématiques ou physiques, ils s’éprennent du maximum de la science et se dirigent d’emblée vers ses sommets. Ils y vont par goût et aussi par principe, parce que les recherches abstraites leur paraissent plus nobles que les applications vulgaires. Quelques-uns y brillent d’un vif éclat ; mais, à côté de cette élite, il en est beaucoup qui pensent avoir l’âme plus haute parce qu’ils ont simplement le cerveau désordonné. Très rares, parmi ces dédaigneux de la vie pratique, sont