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d’eau. La Russie est une vaste plaine, mais c’est une plaine élevée et les eaux souterraines ne s’y trouvent souvent qu’à une certaine profondeur. Loin des grands fleuves et de leurs affluens, les ravins et les vallées secondaires sont à sec pendant les sécheresses de l’été. Le long des cours d’eau permanens, des villages de plusieurs milliers d’habitans se sont établis ; dès que l’on s’en éloigne on ne rencontre que des surfaces nues soumises à la culture la plus primitive, la plus uniforme, la plus épuisante. Pour que le paysan les exploite rationnellement, il lui faudra se disséminer, établir sa demeure loin des centres actuels ; ce qui exigera des fermes, des puits, des digues, des travaux et partant des dépenses de toute sorte que le moujik ne pourra faire du jour au lendemain.

L’État se propose de lui venir en aide ; d’abord par des lois d’expropriation lorsqu’elles seront nécessaires pour lui faciliter l’accès d’une rivière ou d’un ruisseau, ensuite par des prêts hypothécaires. Ces prêts ne courront aucun risque, gagés comme ils le seront par une terre dont la valeur ira croissant en proportion de son rendement. Tout cela ne peut être l’œuvre d’un jour, mais si l’Etat attendait que la commune en bloc voulût opérer la réforme, il risquerait d’attendre un siècle. Il doit donc commencer par satisfaire les plus énergiques, les plus entreprenans, qui serviront d’exemples aux autres.

En 1907, quatre cents commissions agraires, mi-partie composées de paysans élus et de propriétaires en contact direct avec la population, se sont mises à l’œuvre. Pour ce travail gigantesque, pour remanier des millions et des millions d’hectares, les mesurer, repartir les champs ou grouper les parcelles, de manière à composer des exploitations judicieuses, il leur faudrait une armée d’arpenteurs ; chacun d’eux ne pouvant d’avril à octobre accomplir utilement cette-besogne compliquée que sur 1 700 à 2 000 hectares. Un cadre de 4 500 arpenteurs eût été nécessaire pour les 2 700 000 hectares que les commissions avaient à délimiter l’an dernier ; elles n’en avaient que 500 et n’ont pu par conséquent élaborer qu’un tiers des marchés et des plans de liquidation foncière qui leur étaient soumis. Tout devant se faire à l’amiable, on se figure la difficulté de parvenir à une entente entre les paysans, au milieu des discussions et des litiges que suscite le passage d’un collectivisme traditionnel à une propriété indépendante, et combien d’intérêts économiques sont en