Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/795

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

diversement avantageux aux propriétaires suivant la densité de la population et la qualité du sol. Dans la région de la Terre-Noire où les bras étaient abondans et la terre fertile, le travail gratuit effectué par les serfs sur le domaine du maître, en échange des quelques hectares dont l’usage leur était concédé à chacun pour leur subsistance, équivalait à peu près au loyer de ces fonds, s’ils avaient été amodiés à des paysans indépendans.

Dans le Nord, au contraire, la possession des hommes était précieuse, parce qu’il y en avait peu, comparativement aux surfaces agricoles dont la valeur était mince, en raison de leur faible rendement. Même en ces provinces la culture était si peu fructueuse que les nobles trouvaient plus de profit à louer leurs hommes qu’à faire, valoir leurs champs. Ils permettaient à ces serfs obrok de gagner leur vie à leur guise, souvent loin du domaine, à la condition d’acquitter en argent une somme égale à ce qu’ils eussent payé en travail.

Pour opérer l’affranchissement en masse des différentes sortes de serfs, le gouvernement russe avait le choix entre plusieurs systèmes : il pouvait, comme firent les Etats-Unis pour les noirs à peu près à la même époque, rompre simplement et gratuitement le lien qui attachait ces esclaves blancs à leurs maîtres, et laisser les uns et les autres se tirer d’affaire comme ils l’entendraient suivant leurs convenances réciproques, — c’est d’ailleurs ce qui fut fait pour les serfs domestiques, attachés à la personne des nobles. — S’il préférait se charger lui-même d’assurer leur vie en leur vendant des terres, payables par annuités, il pouvait leur en offrir l’achat en les laissant libres de le refuser. Enfin, s’il voulait rendre cet achat obligatoire, il pouvait dépecer la surface des guérets et des pacages, les allotir entre tous les chefs de famille ; chacun devenant « vrai et légitime seigneur » de son lopin « comme de sa propre chose et domaine, » suivant la formule française pour les accensemens du moyen âge.

L’Etat russe fit tout autre chose : il décréta, pour les serfs de la veille, la propriété obligatoire et collective. Groupés en une sorte de clan, à la manière des Gallois et des Burgondes du VIIIe siècle, les habitans de chaque commune reçurent indivis la terre qu’ils exploitaient précédemment. Ceux qui, dans le Nord, n’en exploitaient aucune, furent contraints d’entrer comme les autres dans l’association légale. Au syndicat ainsi possessionné,